Cueillette sauvage
Le poivre d'eau : un goût de piment !
C'est une plante qui ne ressemble pas à grand-chose, juste une tige un peu grêle ornée de longues feuilles vertes. Mais la goûter fait pousser des cris de surprise : on dirait du piment !
Ce n’est pas l’une des premières plantes que j’ai appris à connaître. D’ailleurs, sans doute l’ai-je souvent côtoyée sans savoir qui elle était, car, quand l’œil n’est pas accoutumé, elle tend à se perdre dans la végétation généralement prolifique des endroits qu’elle fréquente. Je n’aime pas tellement les lieux humides que je trouve souvent un peu inquiétants – je pense être, comme tout un chacun, soumis à une certaine forme de peur de la nature avec ses marécages, ses fondrières, ses radeaux de végétation flottante, tous ces lieux où l’élément liquide se mêle de façon imprécise au solide, ou à chaque moment la terre ferme peut céder sous nos pas…
Pourtant, c’est là que je me dirige pour récolter une plante verte sans prétention, camouflée parmi les graminées, les aulnes et les menthes aquatiques : je vais à la recherche du poivre d’eau. Je le reconnais facilement au milieu de la dense verdure à ses longues feuilles étroites, assez semblables à celles du saule, minces, glabres, et pour tout dire plutôt quelconques. Si je viens en été, dans la moiteur des chemins creux, la tâche m’est rendue plus facile par ses longs épis de fleurs verdâtres ou rosées : minces, arqués et pendants, ils ont une « tête » particulière, impossible à confondre. Les feuilles cachent leur jeu et je m’en amuse : dès que je commence à en mâcher ne serait-ce qu’un simple fragment, mes papilles tressaillent sous la brûlure d’un principe âcre qui agit exactement à la façon du poivre : le surnom de notre sauvageonne est parfaitement adéquat !
Cueillette
- Feuilles : mars à septembre
- Graines : juillet à octobre
Ce goût piquant particulier est dû à des sesquiterpènes, en particulier le polygodial et le warburganal. Ces substances sont capables d’activer les récepteurs de chaleur de la peau et des muqueuses, d’où une sensation de brûlure sans augmentation de température. Leur action est semblable à celle de la...
capsaïcine du piment, qui active fortement les neurones sensoriels des bourgeons gustatifs. Sa consommation augmente la sécrétion de liquide gastrique et, en grande quantité, elle stimule la production des hormones adrénaline et noradrénaline et induit l’émission d’endorphines, d’où une sensation de plaisir qui peut expliquer l’accoutumance à ce condiment. Je n’ai pas pu vérifier s’il en était de même avec le poivre d’eau…
Pendant longtemps, je me contentais d’ajouter les feuilles hachées aux salades ou à d’autres plats pour les relever à la façon du poivre, de la moutarde ou du piment. Et je ne pensais pas que ce curieux végétal pût intéresser qui que ce soit. Les plantes qui poussent toutes seules sont généralement délaissées par la plupart des gens. Mais quelle ne fut pas ma surprise, il y a quelques années, en visitant le marché de gros de Tsukiji à Tokyo, d’y découvrir un pavillon entier dédié aux sansaï – littéralement « légumes de montagne » – , les plantes sauvages dont sont friands les habitants de l’archipel. Et qui plus est d’y dénicher sur un stand des caissettes de mon fameux poivre d’eau : aucune erreur possible, son goût était bien là ! Les Japonais le nomment tade et le mangent avec les sashimis à la place du wasabi. Le plus souvent, ils le cultivent et choisissent pour cela une variété d’un rouge violacé dont ils servent les jeunes pousses, appelées beni tade, à la fois jolies et agréablement piquantes – nettement moins que les feuilles de la plante sauvage. On en fait également une sauce, tade zu, préparée avec les feuilles broyées, du vinaigre, du riz cuit et un filet de jus de kabosu (Citrus sphaerocarpa). On l’utilise pour relever les poissons de rivière grillés.
Herbier
Le poivre d’eau (Persicaria hydropiper) est une plante annuelle de 20 à 80 cm, glabre. Sa tige dressée ou courbée à la base, rameuse, présente des nœuds renflés munis de gaines papyracées presque glabres, bordées de quelques longs cils. Les feuilles minces et allongées, vertes et luisantes, aiguës au sommet, sont atténuées en un court pétiole. Les fleurs d’un blanc verdâtre, parfois rosées, sont couvertes de points glanduleux. Elles sont groupées en longs épis grêles, interrompus, lâchement arqués-pendants. La floraison a lieu de juillet à octobre. Les fruits mesurent de 2 à 3 mm de longueur. Les uns ont trois côtés – comme de petites graines de sarrasin –, les autres sont aplatis. Tous sont ternes et finement rugueux. La plante est commune dans les lieux ombragés et humides, voire gorgés d’eau, de toutes nos régions et se rencontre dans les zones tempérées de presque tout le globe. Elle forme parfois de véritables colonies dans les bois frais et au bord des étangs. Le genre comprend en France plusieurs autres espèces, dont la persicaire (Persicaria maculosa) est la plus commune.
J’ai donc trouvé de nouvelles recettes pour mettre à profit l’agrément que me procure le poivre d’eau. Je récolte ses feuilles de mars à septembre, généralement sans les inflorescences que l’on peut pourtant employer aussi. Je recommande de les utiliser toujours fraîches, car le séchage leur fait perdre tout intérêt, de même que la cuisson. Mais attention : en excès, elles se montrent irritantes. Les graines, qui se récoltent de juillet à octobre, peuvent être utilisées comme le poivre.
Le poivre d’eau est le cousin d’une célèbre herbe condimentaire, le rau ram (Persicaria odorata) qui dégage une curieuse odeur où se mêlent les agrumes et les feuilles de coriandre. Au sens le plus large, c’est également un cousin de la célèbre renouée du Japon et du sarrasin.
Recette sauvage
Ingrédients : 1 poignée de feuilles fraîches de poivre d’eau • 500 g de poisson cru pour sashimi • Sauce de soja (shoyu ou tamari) • Huile de sésame grillé.
- Hachez finement les feuilles de poivre d’eau.
- Disposez-les sur le poisson cru, coupé en morceaux de la taille d’une bouchée.
- Versez dessus un filet de sauce de soja et quelques gouttes d’huile de sésame grillé.
- Dégustez sans attendre.