Cueillette sauvage
L'amaranthe blite, un légume antique
Voici encore une plante méconnue ou délaissée, alors qu'elle était créditée dans les temps anciens de suffisamment de vertus pour qu'on l'accepte au potager. La blite, « mauvaise herbe » commune et de saveur plaisante, mérite bien mieux que l'oubli !
J'avoue ne plus très bien me souvenir des circonstances dans lesquelles j'ai vu pour la première fois l'amaranthe blite (Amaranthus blitum). Cette première rencontre ne m'avait guère marqué : c'était une petite plante à moitié couchée sur le sol, qui présentait des traits de caractère communs avec sa cousine, l'amaranthe réfléchie (Amaranthus retroflexus) qui, elle, passe difficilement inaperçue avec ses tiges rougeâtres dressées, couvrant abondamment les terres cultivées. La blite est plus discrète et moins commune.
Elle avait retenu mon attention lorsque j'étudiais de façon systématique les plantes sauvages qui avaient été consommées par l'homme au fil des siècles, en vue de la publication de mon Régal végétal. Peu de documentation était disponible à cette époque – raison qui me poussait à écrire un tel ouvrage –, mais je lus que cet humble végétal avait servi de légume depuis au moins l'Antiquité et avait même été cultivé par les Romains. Il figurait d'ailleurs, sous le nom de blida, au capitulaire De Villis, une liste d'une centaine de plantes, arbres, arbustes ou herbacées dont la culture était ordonnée par Charlemagne dans les jardins des domaines royaux répartis entre l'Allemagne et l'Espagne.
Un légume qui n'est plus cultivé depuis longtemps
Donc, bien naturellement, je voulus goûter cet ancien légume, rejeté hors des jardins par la modernité – cela fait de nombreux siècles qu'on ne le cultive plus – mais qui continue à se propager tranquillement sans l'aide du jardinier dans les terres qu'il remue. La capacité germinative de ses graines est impressionnante, comme l'est d'ailleurs celle de nombre de membres de sa famille, Amaranthaceae, parmi lesquels figurent chénopodes et arroches (Chenopodium et Atriplex spp.). La plante se récolte du printemps à l'automne.
Le plus simple est d'en couper les tiges, puis de trier pour ne garder que les feuilles et les sommités tendres avec la tige encore bien souple. Lorsque la plante est jeune, les salades lui conviennent parfaitement, mais par la suite, il sera préférable de la faire cuire, à l'eau, à la vapeur ou à la poêle, seule ou avec d'autres légumes. Après floraison, on ne peut plus guère que cueillir les feuilles et les bouillir.
Sa saveur est douce et agréable : je la trouve plus délicate que celle de l'amaranthe réfléchie, plus commune. D'ailleurs, sa consommation continue d'être importante dans de nombreuses cultures à travers le monde.
Blite : le plein de protéines, calcium et vitamine C
La blite est l'une des rares plantes sauvages pour lesquelles on dispose de quelques analyses nutritionnelles, car celles-ci sont généralement réservées aux légumes bénéficiant des honneurs de la culture. Si l'on en croit les chiffres, notre plante est remarquablement intéressante. Ses feuilles renferment de grandes quantités de protéines (8,1 mg/100 g), équilibrées en acides aminés essentiels, donc de même valeur nutritionnelle que les produits animaux – viande, poisson ou fromage. Elle est très riche en calcium (837 mg/100 g), presque autant que le comté ou le gruyère. Elle renferme beaucoup de fer (13 mg/100 g) et de vitamine C (210 mg/100 g – quatre fois plus que les agrumes). La vitamine C favorise l'absorption du fer non héminique des végétaux, mais il est très probable que la blite contienne également des oxalates qui diminueraient l'assimilation du calcium, à moins de bloquer ou d'éliminer ces ions à la préparation. Par ailleurs, comme tous les légumes, la plante constitue une excellente source de fibres alimentaires, indispensables pour la bonne santé de notre microbiote, et d'antioxydants favorables au bon état de notre organisme.
Herbier // La blite (Amaranthus blitum)
La blite (Amaranthus blitum) est une plante annuelle herbacée de 20 à 80 cm de hauteur, glabre, au système racinaire peu profond. Ses tiges, couchées-diffuses ou ascendantes, sont divisées en nombreux rameaux. Cylindriques, de couleur rougeâtre, elles sont striées dans leur longueur. Elles portent des feuilles alternes, brièvement pétiolées, vertes mais souvent tachées de brun ou de blanc, ovales ou en forme de losange, cordées ou arrondies à la base et obtuses ou échancrées à leur sommet, et généralement entières.
Les minuscules fleurs verdâtres, à trois sépales lancéolés et trois étamines, sont regroupées en glomérules, les uns à l'aisselle des feuilles supérieures, les autres en panicules terminales compactes non feuillées pouvant mesurer jusqu'à 5 cm de longueur. Chaque fleur est sous-tendue par des bractées triangulaires aiguës, plus courtes que le périanthe. Elles sont présentes de juillet à octobre et donnent des fruits indéhiscents presque sphériques, mais un peu comprimés, dépassant le périanthe.
Probablement originaire de la région méditerranéenne, la plante se rencontre très fréquemment dans les cultures, les friches et les décombres – globalement, les zones perturbées par l'activité humaine –, dans toute l'Europe et une grande partie du globe. Malgré son statut d'ancien légume, elle est généralement considérée comme une « mauvaise herbe » des cultures agricoles.
Cueillette
• Feuilles et sommités tendres : du printemps à l'automne
Des graines simples à se procurer
Pour ceux qui souhaiteraient renouer avec l'ancienne tradition de la culture de l'amaranthe blite, rien n'est plus facile. Ses graines, simples à se procurer sur la plante sauvage, peuvent être semées directement dans le sol après les dernières gelées du printemps. La plante pousse rapidement et peut être récoltée environ six à huit semaines après le semis. Elle tolère une vaste gamme de conditions de sol, mais préfère une terre fertile et humifère.
Terminons ce tour d'horizon par un peu d'étymologie. En grec ancien, notre plante se nommait bliton et l'amaranthe réfléchie, d'origine américaine, est aujourd'hui nommée en Grèce vlita. Ces termes ont donné le nom de « blette » par lequel on désigne dans le Midi la bette (Beta vulgaris), par rapprochement avec la désignation latine de cette dernière, beta. Par l'intermédiaire du portugais bledo, est apparu le créole « brède » qui désigne à la Réunion les divers légumes feuilles ou pousses, que l'on consomme quasi quotidiennement avec le riz et les « grains » – c'est-à-dire les légumineuses. Notons aussi que Blitum est un nom de genre dans la famille des amaranthacées, auquel appartiennent par exemple le bon-Henri (Blitum bonus-henricus) ou l'« épinard-fraise » (Blitum capitatum).
Recette sauvage // Salade panzanella à la blite
Cette salade italienne traditionnelle d'origine toscane est populaire pendant les mois d'été en Italie, car elle constitue un plat rafraîchissant et savoureux à base de tomates mûres et de divers autres légumes.
Ingrédients :
- 4 tranches épaisses de pain de campagne rassis
- 4 cuillerées à soupe d'huile d'olive
- 2 cuillerées à soupe de vinaigre de vin rouge
- 200 g de blite fraîche
- 1 oignon rouge
- 1 gousse d'ail
- 2 tomates mûres
- 1 petit concombre
- Sel et poivre
- Quelques feuilles de basilic frais.
Méthode :
1. Concasser grossièrement le pain rassis et mettre les morceaux dans un saladier.
2. Arroser du vinaigre et de la moitié de l’huile d’olive, et laisser reposer pour permettre au pain d’absorber le liquide.
3. Préparer les feuilles de blite en retirant les tiges les plus épaisses si nécessaire, puis hacher grossièrement les feuilles et les tiges.
4. Émincer l’oignon et hacher l’ail. Dans une poêle, faire chauffer le reste de l’huile d’olive à feu moyen, ajouter l’oignon et l’ail. Les faire revenir pendant quelques minutes jusqu’à ce qu’ils soient dorés.
5. Ajouter les feuilles de blite et faire sauter rapidement jusqu’à ce que les feuilles soient flétries, mais pas molles. Retirer du feu et laisser refroidir légèrement. Verser dans le saladier.
6. Ajouter les tomates et le concombre coupés en dés. Saler et poivrer, mélanger délicatement pour combiner tous les ingrédients.
7. Laisser reposer la panzanella au réfrigérateur pendant au moins 30 minutes pour permettre aux saveurs de s’exprimer.
8. Au moment de servir, garnir de feuilles de basilic frais.