Le centranthe rouge, cousin de la valériane
Également connu sous le nom de « valériane rouge », le centranthe est une plante d'ornement un peu désuète, mais parfaitement adaptée aux lieux secs et pauvres, et qui ne demande guère de soins. C'est aussi une plante médicinale et comestible non dépourvue d'intérêt.Par François Couplan
Certaines personnes à l'humour un peu facile surnomment le centranthe « la plante des autoroutes ». Vous saisissez la fine allusion (centranthe = 130…) ? Plus sérieusement, son nom provient du grec kentros, éperon, et anthos, fleur. De fait, l'observation attentive de sa corolle révèle la présence d'un court éperon aigu situé à la base du pétale inférieur. Cette caractéristique le différencie facilement des valérianes, qui en sont très proches et appartiennent à la même famille – jadis les valérianacées, aujourd'hui les caprifoliacées, comme les cardères (Dipsacus spp.) et les chèvrefeuilles (Lonicera spp.).
Ma mère nommait cette plante « lilas d'Espagne » – alors qu'elle n'a rien à voir d'un point de vue botanique avec le lilas et qu'elle ne vient pas spécialement de la péninsule Ibérique… Une touffe de centranthe décorait, je m'en souviens bien, une rocaille aménagée à l'entrée de notre jardin. Plus tard, je le rencontrai couramment sur les rochers et les vieux murs, où il est difficile de dire s'il a été planté, s'il s'est échappé de culture ou s'il est réellement natif : en France, il peut avoir l'un ou l'autre de ces statuts…
Donc pour moi, le centranthe était une plante attrayante qui jetait de jolies taches rouges au bord des chemins et que j'appréciais à ce titre comme tant d'autres beautés de la nature. Mais j'en restais là. En rentrant des États-Unis, au tout début des années 1980, j'eus la grande chance de rencontrer Pierre Lieutaghi, ethnobotaniste hors pair et auteur, entre autres, du Livre des bonnes herbes, dont la lecture m'apporta une solide base de connaissances sur les usages des végétaux. J'eus l'occasion de participer à quelques sorties où il partageait un peu de son immense savoir sur les plantes. Je me souviens parfaitement, quarante ans plus tard, qu'il nous présenta le centranthe qui croissait sur une muraille du village de Mane, dans les Alpes-de-Haute-Provence, comme une plante médicinale de premier plan, utilisable comme la valériane (Valeriana officinalis), sa cousine. Ses racines, agissant sur le système nerveux, avaient la vertu de calmer l'anxiété et de favoriser le sommeil – ce qui permet de soigner bon nombre des maux affectant l'être humain actuel. J'en déterrai un fragment de racine, grattai légèrement la surface, puis le sentis : effectivement, l'odeur particulière de la...
valériane, qui repousse généralement les humains mais attire irrésistiblement les félins, était bien présente. Personnellement je l'aime bien, je lui trouve même un certain arôme floral – mais les pharmaciens ont du mal à conserver des racines de valériane dans leur officine, du fait de la puissance de leur odeur pénétrante.
J'appris par la suite, en lisant des analyses sur le centranthe, que l'écorce de sa racine présente une teneur importante en valépotriates, des iridoïdes auxquels la valériane est censée devoir ses effets anxiolytiques. Une étude a montré que l'action sédative de la teinture de racine de centranthe, administrée par voie orale chez la souris, est clairement marquée. Mais il faudrait davantage de données pour valider scientifiquement ses usages empiriques…
De mon côté, toujours intéressé par la comestibilité des plantes sauvages, je goûtai les feuilles de centranthe. Je savais ne pas risquer grand-chose, puisqu'il ne figurait pas parmi les plantes toxiques que j'avais pris soin d'apprendre par cœur dès le début de mon étude des végétaux nourriciers. En revanche, c'était une cousine de la valériane, donc, mais aussi de la mâche (Valerianella locusta), salade bien connue tant à l'état sauvage que cultivée. Mes expériences furent concluantes : les feuilles de centranthe sont croquantes et savoureuses, avec un goût particulier plus proche de celui – un peu curieux, je l'admets – de la valériane que de la mâche. Mais il faut les choisir les plus jeunes possible car avec l'âge, leur amertume s'intensifie et devient désagréable, à moins de les mélanger en petites quantités à d'autres plantes plus douces.
Cueillette
• Racines : toute l'année
• Feuilles : de préférence mars, avril mais possible jusqu'en octobre.
Herbier
Le centranthe rouge (Centranthus ruber) est une plante vivace de 30 à 80 cm de hauteur, glabre et glauque, à rhizome épais, odorant. Ses nombreuses tiges dressées sont cylindriques, striées, lisses et creuses, simples ou rameuses. Elles portent des feuilles ovales ou elliptiques longues de 8 à 12 cm et larges de 2 à 4 cm, entières ou à peine dentées. Les feuilles inférieures sont munies d'un pétiole, alors que les supérieures n'en ont pas (elles sont sessiles). On observe plusieurs nervures divergentes dès la base de la feuille.
Les fleurs possèdent des fleurs rouges ou parfois blanches, odorantes, munies d'étamines saillantes et, à la base de la corolle, d'un éperon linéaire, aigu, une à deux fois plus long que l'ovaire, égalant presque le tube. Elles fleurissent de mai à septembre et sont groupées en corymbes serrés qui, par la suite, s'allongent en une panicule formée de rameaux dressés.
La plante se rencontre sur les rochers et les vieux murs. Elle serait spontanée dans la région méditerranéenne, et naturalisée dans toute la France et en Corse, s'échappant des jardins où elle est communément cultivée pour l'ornementation. Sa répartition s'étend sur le centre et le sud de l'Europe, l'Asie occidentale et l'Afrique du Nord.
Quelques autres espèces du genre existent en France : Centranthus angustifolius dans l'Est et le Midi, C. calcitrapae dans le Midi et le Sud-Ouest, C. lecoqii dans le Midi et C. trinervis en Corse.
Recette sauvage
Salade de centranthe et roquette
Ingrédients
• Une poignée de jeunes feuilles de centranthe
• Une poignée de feuilles de roquette
• 1 avocat mûr à point
• 1 tomate bien mûre
• 50 g de fromage de chèvre frais
• 1 poignée de cerneaux de noix
• 2 cuillerées à soupe d'huile d'olive
• 1 cuillerée à soupe de vinaigre balsamique
• Sel et poivre.
Méthode
1. Laver les feuilles de centranthe et de roquette à l'eau, puis les égoutter.
2. Couper l'avocat en deux, retirer le noyau, éplucher la chair et la couper en tranches.
3. Couper la tomate en petits dés.
4. Émietter le fromage de chèvre.
5. Hacher grossièrement les cerneaux de noix.
6. Dans un grand saladier, mélanger les feuilles de centranthe et de roquette. Ajouter les tranches d'avocat, les dés de tomate, le fromage de chèvre émietté et les noix hachées.
7. Dans un petit bol, fouetter ensemble l'huile d'olive et le vinaigre balsamique. Saler et poivrer à votre goût.
8. Verser la vinaigrette sur la salade et mélanger délicatement pour bien enrober tous les ingrédients.
Note La salade peut être enrichie d'autres légumes de saison, sauvages ou cultivés, et d'herbes aromatiques selon vos goûts.
Plus d'informations sur le site de l'auteur : https://couplan.com/