Plantes et Santé Le magazine de la santé par les plantes

La vesse-de-loup, un remède derrière la fumée

La vesse-de-loup, un remède derrière la fumée
La vesse-de-loup, un remède derrière la fumée

Cet étonnant champignon de nos campagnes libère un feu d'artifice de poussière au moindre contact lorsqu'il est à maturité. Il a longtemps été utilisé en médecine populaire. Un savoir qui refait peu à peu surface, grâce à la passion des ethnomycologues…

Lorsqu'on se balade dans les sous-bois à l'automne, il nous arrive parfois de marcher sur une vesse-de-loup qui éclate sous notre chaussure, libérant un nuage de fumée. Cette petite explosion de poussière, jaillissant comme d'un volcan miniature, provoque les rires des enfants. Elle a donné à ce champignon son nom populaire de vesse-de-loup (du latin vissire, « faire un pet silencieux ») ou pet-de-loup, de la famille des Lycoperdaceae (du grec lykos, « loup », et perdomai, « péter »)… Une famille riche de plusieurs genres (lycoperdon, bovista, bovistella, calvatia…), chaque champignon ressemblant à une boule blanche à brunâtre plus ou moins volumineuse et qui sèche à maturité. La cuticule interne se rompt alors à la moindre pression, pouvant libérer jusqu'à 7 000 milliards de spores selon les espèces.

Une poussière en vogue

« Jusqu'à la fin du XIXe siècle, et même jusqu'au début du XXe siècle dans certaines régions de France, ces spores très convoitées étaient recueillies méticuleusement dans de petites boîtes pour des usages médicinaux aujourd'hui totalement oubliés », retrace Hélène Thibault. Dans le cadre de ses études d'ethnobotanique à l'École lyonnaise des plantes médicinales, elle a entamé en 2021 un travail d'ethnomycologie sur l'usage traditionnel et ancestral des champignons pour se soigner en France et dans les pays voisins. L'ethnomycologie est une discipline née dans les années 1950 qui étudie le rapport entre les hommes et les champignons et leurs usages culinaire, vestimentaire, tinctorial, spirituel ou médicinal.

La mycothérapie, qui consiste à se soigner avec les champignons, est encore pratiquée en Asie, Amérique du Sud ou Afrique, mais tombée en désuétude en Europe occidentale. Hélène Thibault a voulu explorer ce pan de médecine traditionnelle avant qu'il ne sombre dans l'oubli. Son enquête s'est révélée rapidement collective, impliquant plus de 80 personnes. Elle a recherché des sources écrites et récolté des témoignages oraux, transmis de génération en génération, sur des pratiques dont la mémoire se perd peu à peu. « Par ce travail, je cherche à sensibiliser à l'incroyable richesse du règne de la fonge et à rendre hommage à nos ancêtres qui savaient observer finement la nature, avec sensibilité, respect et perspicacité. Mon but n'est donc pas de remettre au goût du jour des pratiques thérapeutiques empiriques – qui étaient souvent les seuls recours à l'époque –, mais de susciter un autre regard sur le règne des champignons, encore bien loin d'avoir révélé tous ses secrets. »

Paru début 2024 dans la revue Ethnopharmacologia, son article énumère des usages médicinaux qui ont de quoi nous surprendre. Dès 1634, le célèbre apiculteur anglais Charles Butler explique comment calmer les abeilles en embrasant un morceau sec de Calvatia ­gigantea sous la ruche, l'enfumage les tranquillisant à coup sûr.

De nouveaux travaux scientifiques

Depuis le début des années 2000, les thèses de pharmacie et les études pharmacologiques universitaires sur les champignons d'Europe se multiplient. La famille des Lycoperdaceae n'est pas en reste. En 2004, une étude biologique turque (Dulger 2004) analyse dix Lycoperdaceae pour leurs propriétés antimicrobiennes. Conclusion : les extraits méthanoliques de ces champignons se révèlent actifs contre les bactéries Gram(+) et Gram(-). Neuf des dix extraits ont également démontré une activité antifongique. Depuis, deux nouvelles études scientifiques en 2011 et 2017 sont venues corroborer ces résultats (Pala & Wani 2011 ; Akpi et al. 2017). À suivre…

« Chloroforme » végétal

Deux siècles plus tard, le chirurgien Benjamin Ward Richardson emploie de la vesse-de-loup perlée pour anesthésier des animaux avant de les opérer. L'inhalation d'une grande quantité de spores a pour effet de les endormir rapidement sans effet délétère, écrivait-il, l'animal se réveillant ensuite en parfaite santé. À l'inverse, employées en dilution, ces spores s'avéraient toxiques voire mortelles à fortes doses. S'appuyant sur ces travaux expérimentaux, d'autres chirurgiens feront usage de la fumée de Lycoperdon sp. comme substitut de chloroforme pour pratiquer des amputations, l'effet léthargique se prolongeant plusieurs heures… Le savant naturaliste Frédéric Gérard transmettra ainsi ses expériences à l'Académie des sciences. Mais les résultats n'ont pas semblé être sans innocuité et ces expériences ont été abandonnées à la fin du XIXe siècle.

Les fouilles menées à Skara Brae, en Écosse, et à Vindolanda, dans le nord de l'Angleterre, ont permis de retrouver des spores de bovista, bovistella et calvatia, datant de -155 à -225 avant notre ère. D'après les archéologues, elles auraient été utilisées à des fins médicinales, probablement comme hémostatiques en cas de blessures. C'est là le premier indice d'une utilisation thérapeutique des Lycoperdaceae en Europe occidentale. Cet usage se retrouve mentionné en 1771 dans le dictionnaire de l'abbé Brillant. Il note les propriétés astringentes de la vesse-de-loup, propres à arrêter le sang d'une plaie, d'un flux hémorroïdal trop important ou à calmer une rhinite. La poudre était souvent appliquée directement sur la blessure en cas d'ablation de tumeurs, voire utilisée pour stopper des hémorragies internes lors d'opérations. D'autres auteurs, comme le Dr Cazin dans son Traité des plantes médicinales (1868), rapportent des préparations plus complexes, les poussières étant arrosées plusieurs fois de suite avec une dilution d'eau et de sulfate de zinc puis laissées à sécher et conservées dans un endroit sec avant emploi.

Souffler les spores sur blessures et brûlures

En médecine populaire, il était d'usage de souffler de la poudre de spores sur la peau en cas de morsure ou pour accélérer la cicatrisation des brûlures. Elle était parfois préparée sous forme d'emplâtre, mélangée avec de la graisse de lapin en Belgique ou du savon de Marseille fondu dans le sud de la France… En Corse, on recommandait du talc à base de poudre de vesse-de-loup pour soulager les fesses irritées des bébés.

Son usage médicinal s'est perdu, comme beaucoup de savoirs populaires dans nos campagnes. Les progrès de la science remettent également en question certaines pratiques considérées comme empiriques, parfois même toxiques. Dès 1876, des cas d'intoxication sont rapportés suite à des inhalations excessives pour soulager des rhinites. Pourtant, les champignons mériteraient une place plus importante dans les études pharmacologiques et les essais cliniques (voir encadré). Ce travail d'ethnomycologie en témoigne : il y a en eux des trésors médicinaux à redécouvrir à l'aune des connaissances scientifiques d'aujourd'hui… 

À savoir

Hélène Thibault poursuit ses recherches sur l'usage ancestral et traditionnel des champignons, et continue de récolter des témoignages. Si vous avez des informations à lui transmettre, voici son contact mail : ethnomyco.fr@gmail.com

Sophie Pensa

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Plantes & Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé.
Vous appréciez nos articles, allez plus loin en vous abonnant au magazine en cliquant ici
Inscrivez-vous gratuitement à la newsletter Plantes & Santé
Recevez chaque semaine nos conseils de bien-être par les plantes, astuces et recettes à faire vous même pour retrouver Equilibre et Santé
Votre inscription a bien été prise en compte 
Politique de confidentialité