Amorgos, charme, calme et plantes sauvages
Il existe sur terre de petits coins de paradis, méconnus bien sûr, sans quoi ils ne seraient plus édéniques. L’île grecque d'Amorgos, perdue au fin fond des Cyclades, en fait sans doute partie en particulier pour tous les amateurs de plantes. Invitation au voyage dans la phrygana, l’équivalent grec de notre maquis méditerranéen.
Une diversité impressionnante de plantes parfaitement adaptées à un milieu aride en été, de nombreux arbustes et arbrisseaux au feuillage réduit et odorant… Telle est la végétation caractéristique de l'île d'Amorgos, que l'on appelle la phrygana, mot grec ancien utilisé par Théophraste pour désigner des petits buissons épineux. La fragrance de toutes ces plantes emplit l'air qui s'échauffe rapidement sous le soleil. Le plus parfumé est sans doute l'origan crétois (Origanum onites). Ses jolis buissons touffus portent de petites feuilles à l'arôme puissant et à la saveur piquante, que les Amorgiens récoltent à foison pour parfumer leurs plats et en faciliter la digestion grâce aux propriétés stomachiques de la plante : le condiment s'avère médicinal.
Un peu partout se dessinent les taches vert clair, un peu bleuté, des euphorbes arborescentes, de curieux arbustes au tronc raccourci, couronnés d'un hémisphère bien dessiné de feuilles groupées en faisceaux au sommet des rameaux. Ces cousines de nos euphorbes réveille-matin, « mauvaises herbes » ubiquistes de nos jardins, laissent exsuder dès qu'on les blesse, tout comme ces dernières, un latex blanc caustique. Les Amorgiens l'appliquent sur les verrues pour les faire disparaître – mais il faut un certain courage, car il brûle !
Un large chemin pavé mène vers une église blanche au toit en coupole bleu – tout le bâti, ici, est bleu et blanc – isolée au milieu des rochers énormes qui surplombent le village. D'adorables muscaris aux grappes denses de clochettes bleu foncé, à odeur de prune, se détachent sur le vert tendre des feuillages. De jolis iris bleu pâle poussent entre les pierres du sentier… Mais le bleu dominant est celui des lupins qui forment de véritables champs surmontés par leurs inflorescences sculpturales. Les rouges viennent principalement des coquelicots, quoique les fleurs plus discrètes des tétragonolobes (Lotus tetragonolobus) y contribuent également. Ces petites légumineuses étaient jadis cultivées dans nos potagers pour leurs curieuses gousses consommées comme les haricots verts. Le jaune abonde dans le paysage. C'est surtout l'or des chrysanthèmes couronnés (Glebionis coronaria) et de son cousin le chrysanthème des moissons (Glebionis segetum). Avant la floraison, ce sont de bons légumes feuilles, appréciés au point d'être largement cultivés dans un but alimentaire en Asie – d'où ils nous reviennent sous le nom de « chrysanthèmes comestibles ».
D'autres couleurs ponctuent la végétation : le rose vif des glaïeuls (Gladiolus italicus) et pâle des liserons (Convolvulus althaeoides), le violet des anémones (Anemone coronaria), l'orangé des soucis des champs (Calendula arvensis), le blanc des anthémis (Anthemis chia). La nature est superbe dès le début du printemps ! Cela n'empêche pas les quelque 30 000 chèvres de l'île – quinze fois plus nombreuses que les humains, grâce aux subventions européennes – de la brouter allègrement… Elles épargnent toutefois les mandragores (Mandragora officinarum) aux larges feuilles pourtant bien tentantes, mais chargées d'alcaloïdes hallucinogènes, dont les énormes rosettes présentent en leur centre de gros bouquets de fleurs d'un bleu violacé. Avec un peu de chance, peut-être négligeront-elles aussi les timides orchidées aux formes extravagantes qui parsèment le maquis. Les falaises abruptes du nord de l'île culminent à plus de 800 mètres avec le mont Krikellos, perché droit au-dessus des flots bleu d'azur. Leurs parois verticales hébergent l'immortelle d'Amorgos (Helichrysum amorginum), qui ne vit qu'ici. Contrairement à sa cousine l'immortelle d'Italie (Helichrysum italicum), plus connue, cette jolie plante aux feuilles duveteuses porte des capitules d'un rose soutenu. Mais ses vertus médicinales restent inconnues à ce jour. C'est dans le même environnement que se rencontre le chou de Crète (Brassica cretica) dont les larges feuilles charnues d'un vert glauque, se consommaient jadis comme celle de son cousin cultivé, originaire des côtes atlantiques.
Malgré sa taille réduite, à peine plus grande que la superficie de Paris intra-muros, Amorgos a de quoi séduire les botanistes, les gourmands, les amateurs d'histoire et les mordus de randonnée, et tous ceux et celles qui ont simplement envie de lever le pied dans un environnement calme et plein de charme.
Une sauge très douce
Un peu partout fleurissent au printemps les massifs de sauges (Salvia fruticosa). Leurs feuilles allongées et gaufrées, d'un vert grisâtre, ne laissent place à aucun doute, tant elles ressemblent à celles de notre sauge officinale, à ce détail près que chacune porte à sa base deux appendices qui la font qualifier de « trilobée ». Mais son odeur est plus douce. Ici, la sauge grecque, appelée faskomilo, (Salvia fructicosa ou triloba), sert avant tout à préparer une tisane parfumée que l'on boit à toute heure dans les kafenio. Cet agréable breuvage, sorte de panacée locale, est crédité de toutes sortes de vertus. Un repas trop lourd, un début de rhume, voire une grippe, un moment de dépression (rare ici), une fièvre subite appellent à absorber, remède agréable, une infusion de feuilles de sauge. Une décoction concentrée sert en gargarisme contre les angines. Dans le charmant village d'Aegialis, un distillateur en extrait une huile essentielle parfumée qu'il vend aux habitants et aux touristes.
Le « régime amorgien »
De la même façon qu'en Crète voisine, les Amorgiens raffolent des plantes de cueillette et nombreux sont ceux qui s'adonnent à leur récolte. Les légumes sauvages (agria horta), restent ici une institution. On les apprécie à la fois pour leur saveur et leurs vertus pour la santé. D'octobre à juin, les sacs se remplissent des feuilles croquantes de la Centaurea raphanina, qui seront cuites à l'eau, puis servies avec une généreuse rasade d'huile d'olive, un jus de citron et quelques grains de sel. Mais la reine des salades de la phrygana reste la chicorée épineuse (Cichorium spinosum), le stamnagathi, que l'on déguste dans les tavernes de l'île. Les repas typiques sont simplissimes, mais délicieux : diverses plantes sauvages cueillies le long des chemins de l'île, de savoureuses olives, du pain moelleux et du fromage au goût affirmé, parfois de la viande de chèvre, grasse et tendre ou de la fava (purée de pois jaunes). Des artichauts et des fèves complètent ces agapes de bergers et les meilleures oranges du monde les concluent.
Infos pratiques
Comment y aller : On arrive à Amorgos par le ferry qui part du Pirée, le port d'Athènes, situé à 256 kilomètres. On accoste en fin d'après-midi après neuf heures de voyage (au milieu de la nuit) et après avoir desservi quelques-unes des innombrables îles du célèbre archipel des Cyclades. En fonction du vent et de la mer, on peut s'attendre à un retard d'au moins une heure… Il n'y a pas d'aéroport.
Hébergement : Plori Studios sur les hauteurs du village d'Aegialis, autour de 60 euros la nuit, amorgos-plori.com. Sur la baie d'Aegialis, pension familiale, chambre à partir de 35 euros, www.amorgoschristina.gr
Distillation : Distillerie d'huiles essentielles à Lagada, www.iamata.gr