Cueillette
Les cueilleurs montent au créneau pour défendre la flore
Préserver la flore sauvage alors que la cueillette commerciale de plantes médicinales connaît une forte demande… tel est le défi qu'entend relever l'Association française des cueilleurs (AFC). Elle s'appuie sur l'expertise et l'éthique des professionnels pour recenser de façon précise les menaces qui pèsent sur ces ressources…
Le commerce des plantes aromatiques et médicinales est en plein essor, porté par l'engouement croissant pour les remèdes naturels. Il a même triplé en vingt ans. Or, ce commerce est alimenté en majorité (entre 60 et 90 %) par des végétaux récoltés dans la nature. Les experts de l'Institut de recherche pour le développement et du Conservatoire botanique national alpin ont recensé entre 700 et 800 espèces de plantes sauvages cueillies à des fins commerciales dans l'Hexagone, soit 10 % de la flore. Le problème, c'est qu'on ne dispose d'aucune donnée précise sur le volume de ces collectes répétées et leur impact sur la santé des espèces.
L'Association française des professionnels de la cueillette de plantes sauvages (AFC) a décidé de se saisir du problème. Elle a déjà posé les bases d'une pratique plus éthique et transparente avec une charte et des guides de bonnes pratiques, notamment pour des espèces très prisées comme l'ail des ours (lire l'encadré). Mais pour aller plus loin, mieux préserver la flore des pillages et dérives et anticiper les conséquences climatiques, il faudrait un vrai suivi des collectes. C'est là que l'AFC a pris conscience que les cueilleurs professionnels étaient bien placés pour faire remonter du terrain des infos et des alertes.
Alerte sur les ressources en thym
Pour le moment, les 300 cueilleurs adhérents de l'AFC partagent entre eux de manière informelle les constats faits sur le terrain – sites entièrement ramassés par des collecteurs sans scrupules, espèces impactées par le changement climatique, etc. Certaines plantes comme l'arnica et la gentiane sont déjà classées depuis des années comme espèces vulnérables, mais le réseau AFC a identifié récemment des menaces inédites sur le thym dans l'Aude et sur le pourtour méditerranéen. " Nos cueilleurs ont repéré différentes stations de thym entièrement cramées par la sécheresse et ils ont constaté, de par leur connaissance fine du milieu, que les chémotypes de thym changent : on va vers davantage de chémotypes de milieu sec ", précise Émilie Pascal, coordonnatrice de l'association. Un sujet préoccupant que l'association va approfondir cette année, grâce à des subventions publiques. Les résultats de son enquête sur les sites en danger et l'évolution pédoclimatique du thym seront discutés ensuite avec des chercheurs et des gestionnaires d'espaces verts.
L'arnica, toujours en péril
Pour la troisième année consécutive, la cueillette commerciale a été interdite sur le Markstein – le principal lieu de récolte de l'arnica, dans les Vosges –, relaie l'AFC. Mais sur d'autres massifs (Pyrénées, Alpes, Massif central), l'arnica a aussi très peu fleuri l'été dernier. Or, dénonce l'AFC, ces sites moins surveillés souffrent de pillages de la part de saisonniers recrutés par des entreprises peu scrupuleuses.
Une plateforme de cueilleurs sentinelles
Au fil des remontées de son réseau, l'AFC s'est rendu compte qu'elle tenait là un bon moyen de produire des données précieuses. " Nous réfléchissons à une plateforme numérique collaborative de “cueilleurs sentinelles”, accessible sur smartphone, pour partager les infos de terrain concernant les plantes et volumes récoltés, avec un module d'alerte sur des sites pillés ou des espèces en danger ", explique Émilie Pascal, chargée du projet. Elle en est encore aux prémices techniques et compte sur de nouveaux financements pour avancer plus rapidement. Reste à convaincre les cueilleurs de s'impliquer… Les premiers échanges montrent une bonne adhésion au projet : " Nos professionnels veulent valoriser leur métier en montrant qu'ils sont responsables et bons connaisseurs des milieux naturels. " Cette plateforme serait aussi une bonne base de données de départ pour bâtir l'Observatoire économique des cueillettes de plantes sauvages. Ce projet très ambitieux, lancé en 2020 par le ministère de la Transition écologique, a du mal à se mettre en place.
En attendant, l'AFC travaille de concert avec d'autres acteurs, impliqués dans le futur Observatoire. Elle transmet ses alertes et ses infos notamment au Conservatoire botanique national des Pyrénées et de Midi-Pyrénées, pionnier en France pour l'étude et le suivi sur la thématique de la cueillette. Telle cette vaste enquête " Gestes ", en cours depuis début 2024, visant à analyser les pratiques des cueilleurs transfrontaliers dans les Pyrénées. Son expertise numérique en cartographie avec géolocalisation sera également utile à l'AFC pour sa plateforme " Cueilleurs sentinelles ". L'idée est de répertorier les sites de cueillette avec des codes couleur, selon l'état d'urgence de la flore : " rouge pour les lieux où il faudrait arrêter de cueillir, orange et jaune pour ceux sous tension ou à surveiller, jusqu'au vert où tout va bien ", prévoit Émilie. Le Conservatoire pourra aussi abonder la future base de données grâce à ses suivis, menés au niveau national, sur des espèces à préserver : l'arnica, la gentiane jaune, le thé d'Aubrac…
Mais pour connaître réellement l'état des ressources, mieux les gérer et pérenniser une filière de cueillette éthique, il faut quantifier les prélèvements mais aussi identifier les acheteurs. Des éléments sensibles, complexes à obtenir notamment de la part des opérateurs en aval. C'est pourquoi l'État, via FranceAgriMer, a lancé depuis l'été 2024 une étude économique inédite sur une cinquantaine de plantes médicinales et aromatiques en questionnant les entreprises acheteuses et utilisatrices en termes de volumes, de prix d'achat et de choix d'approvisionnement. Des éléments essentiels pour comprendre les rouages de ce marché florissant, y compris les pressions exercées sur les cueilleurs pour fournir de précieuses matières premières, même menacées.
Certes, les données sont longues et délicates à réunir et il faudra sans doute plus que l'engagement courageux de l'Association française des cueilleurs et le travail de longue haleine du Conservatoire national botanique des Pyrénées et de Midi-Pyrénées pour faire avancer les choses. Mais on sent une volonté de l'État d'accélérer le tempo sur ce projet d'observatoire des cueillettes. Il y va de la préservation de la flore… et de la pérennité de la filière.
Ail des ours : cueillez-le sans lui nuire !
Décliné en sauce, pesto, risotto… l'ail des ours attire autant les cueilleurs professionnels que familiaux. Au point que le Conservatoire botanique national des Pyrénées et de Midi-Pyrénées s'inquiète de la pression exercée sur cette plante sauvage. Des tests ont permis d'évaluer l'impact de différents modes de cueillette. Les résultats montrent que tailler l'ail des ours à la serpe au ras du sol ou même en laissant un tiers du limbe affecte la floraison l'année suivante. Tandis que cueillir à la main sur un individu la moitié des feuilles mesurant plus de 10 cm, permet un bon développement de l'espèce.