Jacques Chevallet : « Tout ce qui soigne n’est pas médicament »
En février dernier, l’Académie nationale de pharmacie a publié un rapport pointant du doigt les compléments alimentaires à base de plantes. Revenons sur les enjeux liés à ces produits naturels avec Jacques Chevallet, président du groupe Arkopharma.
Plantes & Santé. Selon l’Académie nationale de pharmacie, « la notion de bénéfice-risque n’est pas prise en compte dans le développement des compléments alimentaires ». À quelles exigences les fabricants de produits à base de plantes doivent-ils répondre ?
Jacques Chevallet. Il faut rassurer les consommateurs : nos compléments alimentaires sont bien encadrés. Pour soumettre un produit à la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), nous devons évaluer le risque de l’ensemble des composants, définir des conditions de prise et les contre-indications. Nous travaillons sans cesse avec cet organisme pour améliorer nos produits et les mises en garde associées. Il existe d’ailleurs un système de nutrivigilance – semblable à la pharmacovigilance pour les médicaments –, par lequel sont surveillés les potentiels effets secondaires de nos compléments. Malheureusement, l’Académie de pharmacie n’a pas tenu compte de toutes les améliorations faites par les laboratoires depuis l’arrêté du 24 juin 2014, établissant la liste des plantes autorisées à être vendues en dehors des pharmacies. Pourtant, le nombre de cas problématiques rapportés à notre laboratoire est faible : un à deux par million de boîtes vendues, soit dix fois moins que pour les médicaments allopathiques.
L’Académie pointe également le fait que certaines plantes utilisées contiennent des « effets pharmacologiques reconnus ». En quoi est-ce un problème ? Ces effets sont-ils maîtrisés ?
C’est surtout un non-sens ! Du jus de pamplemousse aussi peut interagir avec une pilule contraceptive : il a bien des effets pharmaceutiques, mais je n’ai jamais vu de telles indications sur les briques de jus… Pour les professionnels de la pharmacie, tout produit ayant une vertu santé devrait être considéré comme un médicament : une telle vision binaire de la santé doit être dépassée. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) l’a d’ailleurs déjà fait, en reconnaissant que « la santé ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Pour soigner une pathologie nous avons besoin de médicaments, mais pour être en bonne santé nous prônons une approche globale, qui comporte une bonne hygiène de vie alimentaire, une pratique sportive, un recours aux plantes pour les maux du quotidien, etc. L’Académie de pharmacie doit comprendre que tout ce qui soigne n’est pas médicament.
Que pensez-vous de la proposition d’éliminer « les plantes n’ayant aucun effet nutritionnel ou alimentaire et/ou qui présentent un danger pour les utilisateurs » ?
Aujourd’hui, la liste des plantes autorisées est constituée de panacées connues pour leur usage nutritionnel ou médicinal ancestral et traditionnel. Elle est donc basée sur la connaissance et pas forcément sur des études. Mais ça, ça ne plaît pas aux pharmaciens. Cependant, nous, industriels comme autorités de régulation, faisons vivre et évoluer cette liste continuellement. Ainsi, certaines plantes autorisées ne sont pas utilisées dans nos compléments. Ce qui nous inquiète, c’est que l’on mette en place un dogme de l’étude clinique en l’imposant pour chaque plante. Il faut que l’on continue de reconnaître l’usage traditionnel des panacées, en se fiant aux analyses de données. La puissance de la tradition doit aussi être reconnue pour faire évoluer cette liste. Les études ne devraient pas uniquement servir à identifier les molécules actives des plantes, les isoler et en faire des médicaments. Sans quoi, il s’agirait vraiment d’une perte importante pour la santé des consommateurs. Mais je sais bien que nous sommes tout petits par rapport aux lobbies pharmaceutiques.
Selon vous, c’est l’industrie des médicaments allopathiques qui est derrière ce rapport de l’Académie de pharmacie ?
Bien sûr. Cependant, il est temps qu’ils comprennent que la santé ne tient pas aux seuls médicaments, mais que les individus y contribuent. Nous avons longtemps utilisé les antibiotiques de manière inconsidérée ; aujourd’hui, les conséquences sont désastreuses sur notre microbiote. Tous les médicaments ont des effets secondaires à long terme et un impact sociétal, humain et économique. On s’est par exemple rendu compte, chez les personnes âgées, que beaucoup de chutes, de démences et de pertes cognitives étaient dues à une prise d’hypnotiques. Les gens ne veulent plus de ce système de santé ! Il y a une véritable aspiration pour une approche naturelle. Les pharmaciens devraient laisser tranquilles les fabricants honnêtes qui respectent un cadre réglementaire strict, et plutôt les aider à faire le ménage au niveau des revendeurs en ligne, bien souvent malhonnêtes.