Florence Foucaut « Les plantes sauvages apportent plus de nutriments que les aliments enrichis »
Après une formation classique, la diététicienne parisienne Florence Foucaut s’intéresse depuis quelques années au potentiel des plantes sauvages. Elle nous explique pourquoi la mauve, le chénopode ou l’ortie possèdent autant d’atouts, voire plus, que le quinoa ou le soja.
Plantes & Santé. En tant que diététicienne installée à Paris, pourquoi vous êtes-vous intéressée aux plantes sauvages ? Qu'avez-vous découvert ?
Florence Foucaut. Lors de mon diplôme universitaire (DU) de phytothérapie et d'aromathérapie, j'ai découvert les vertus thérapeutiques des plantes sauvages. Diététicienne de formation, je me suis dit qu'elles avaient forcément des vertus nutritionnelles. Il me fut assez difficile de trouver des données : nous ne possédons pas en France de répertoire mentionnant les teneurs en nutriments des plantes sauvages. Seul le pissenlit est référencé. Au niveau mondial aussi, les données sont peu nombreuses ; cependant, celles que j'ai trouvées montrent des teneurs en nutriments bien supérieures à celles des plantes cultivées, notamment en termes de vitamines et de minéraux. Les données que j'ai utilisées pour calculer les rations alimentaires sont issues de la FAO, des tables américaines de composition des aliments ou encore de registres suisses.
P & S Conseillez-vous ces plantes sauvages à vos patients ? Comment cela est-il perçu ?
F. F. Mes consultations ont souvent pour objet de savoir comment équilibrer une alimentation végétarienne. Dans ce cadre, je conseille non seulement les aliments classiques, mais aussi des plantes sauvages comme l'ortie. Cette dernière est en effet une excellente source de protéines, à l'instar du quinoa ou du soja qui apportent tous les acides aminés essentiels. Mais il n'est pas évident de trouver des lieux de cueillette satisfaisants à Paris… Je conseille donc comme alternative l'ortie en poudre. Globalement, l'accueil réservé par mes patients à l'idée de consommer des plantes sauvages est très positif, car ils sont dans une démarche d'alimentation écoresponsable, avec la volonté de réduire leur bilan carbone.
P & S Les teneurs en vitamines et minéraux des plantes sauvages sont supérieures à celles des plantes cultivées. Comment ces dernières ont-elles perdu ces qualités ?
F. F. Dès lors que l'on fertilise une plante, celle-ci va contenir moins de micronutriments. En effet, la potasse contenue dans les engrais bloque l'absorption d'éléments comme le magnésium. La sélection des plantes cultivées porte avant tout sur des critères de rendement. En conséquence, avec les apports caloriques recommandés, on a bien du mal à couvrir les besoins en micronutriments si l'on ne consomme que des plantes cultivées. Il faudrait en manger deux fois plus pour obtenir les bonnes teneurs en magnésium – d'ailleurs 70 % de la population ne couvre pas ses besoins ! Plutôt que d'opter pour une supplémentation, les diététiciens préfèrent conseiller des aliments adaptés. Le chénopode blanc et la mauve sylvestre sont naturellement riches en magnésium. Une plante sauvage comme le pourpier, qui contient beaucoup d'oméga-3, est bien plus efficace qu'un produit enrichi de façon industrielle. D'autant que les composants d'un aliment brut (eau, glucides, lipides, protéines, fibres, vitamines, minéraux…) agissent sur notre organisme en synergie : en nutrition, on parle de l'effet « matrice nutritionnelle ».
P & S Néanmoins, les végétaux contiennent des facteurs dits « antinutritionnels », qui diminuent la biodisponibilité de certains nutriments. Peut-on lutter contre cet effet ?
F. F. En effet, les plantes sauvages sont riches en facteurs antinutritionnels tels que les phytates et les oxalates. Or plusieurs techniques permettent de les éliminer : la germination, la cuisson, le trempage et surtout la fermentation vont permettre une meilleure biodisponibilité des minéraux, fer, magnésium, calcium et zinc. Les boutons de pissenlit, riches en calcium, en fer et en vitamines A et C, se prêtent bien à la lactofermentation. Et comme il s'agit aussi d'une technique de conservation, cela permet de préserver des plantes cueillies à maturité, quand les teneurs en nutriments sont les plus importantes. Je préconise aussi la préparation de pestos de plantes sauvages : même découpées, les herbes enrobées d'huile conservent leurs vitamines. On peut congeler ces pestos et disposer à tout moment de préparations qui apportent du goût, en remplacement des bouillons cubes par exemple.
P & S L'ortie, que vous présentez comme une source de protéines comparable au quinoa ou au soja, est-elle facile à intégrer dans l'alimentation ?
F. F. Pour consommer l'ortie au quotidien, je conseille de l'associer à la pomme de terre. Celle-ci casse l'amertume de la plante et apporte des glucides. Sous la forme de soupe ou de gratin, comptez 200 g d'ortie fraîche pour 100 g de pommes de terre par personne : avec ces proportions, on obtient un apport en protéines équivalent à celui d'une portion de viande. Cette plante sauvage est aussi une bonne source de calcium et de fer. Il est possible que d'autres plantes sauvages apportent tous les acides aminés essentiels nécessaires à la fabrication des protéines par notre organisme. Mais mes recherches ne m'ont pas permis de trouver ces données détaillées.
Les avantages des protéines de l'ortie
L'ortie apporte une bonne quantité de protéines, d'autant plus intéressantes qu'elles sont d'excellente qualité. En effet, elle contient dix-huit acides aminés au total, sur les vingt existants, dont les neuf acides aminés essentiels qui sont apportés uniquement par l'alimentation. Ainsi, une portion de 100 g de feuilles d'ortie fraîche couvre 21 % des besoins en lysine, 36 % en tryptophane, et 44 % de phénylalanine. Florence Foucaut a fait la comparaison avec la protéine de soja. La conclusion est claire : la teneur en acides aminés de l'ortie est supérieure à celle du soja pour six acides aminés, la teneur des trois autres étant quasiment identique. Et si les études ne se sont pas encore penchées sur leur digestibilité, le fait que l'on utilise cette plante depuis des centaines d'années plaide en sa faveur.
P & S Vous avez étudié plusieurs plantes sauvages et profils alimentaires (flexitarien, végétarien, femme enceinte, personne âgée…). Pour quel type de personne l'ortie est-elle le plus indiquée ?
F. F. L'ortie est recommandée aux sujets végétariens et végétaliens, mais aussi aux personnes âgées qui doivent particulièrement veiller à leurs apports en protéines pour lutter contre la perte de masse musculaire. Je la recommande également aux sujets flexitariens dès lors qu'ils essayent de réduire leur consommation de viande. Attention à ne pas manger trop d'ortie en cas de pathologie au niveau rénal. Je mets aussi un petit bémol pour la femme enceinte, par principe de précaution.
P & S Quelles autres plantes sauvages préconisez-vous pour les différents profils ?
F. F. Je conseille l'amarante, riche en fer, aux végétariens. Pour ce qui est des végétaliens, j'ai identifié la doucette et le pourpier, riches en oméga-3, ainsi que le pissenlit et la roquette qui apportent du calcium. Je préconise pour les femmes enceintes la mauve pour sa teneur en fer, en magnésium et en calcium, à associer avec des cynorrhodons en sirop : leur vitamine C optimise l'absorption du fer.
P&S Les plantes sauvages pourraient-elles remplacer les végétaux cultivés dans l'alimentation de certaines personnes ?
F. F. Ce n'est pas ce que je conseille, je préconise toujours une alimentation la plus diversifiée possible. Chez les végétariens par exemple, le quinoa revient trop souvent dans les enquêtes alimentaires, or l'ortie offre une bonne alternative. Ces plantes sauvages permettent aussi de vraiment suivre les saisons. Car il existe une corrélation entre les apports des plantes sauvages et nos besoins : le cynorrhodon, récolté après les premières gelées, apporte de la vitamine C au moment où nous en avons le plus besoin. À l'avenir, j'ai pour projet d'étudier les plantes sauvages régionales, afin d'analyser leur adéquation aux besoins spécifiques des populations locales.
Parcours
2010 : BTS de diététique à Paris
Depuis 2010 : Diététicienne libérale à Paris
Depuis 2015 : Consultante nutrition pour France Télévision dans « Les Expertes » ; responsable du service diététique dans un centre Alzheimer à Paris
2017 : DU « Conseil en phytothérapie et aromathérapie », Université de médecine Paris 13
2019 : Mooc « Qualité des aliments » (Actia)
2020 : Intervenante « Nutrition et Science of food », Institut culinaire international Le Cordon bleu à Paris
2021 : Publication de Intérêts nutritionnels des plantes sauvages, éditions du Puits fleuri
2022 : DU « Alimentations végétariennes », Faculté de médecine Sorbonne Université