Santé
De futurs médicaments dans la terre de nos jardins et forêts ?
De nombreux médicaments utilisés aujourd’hui sont issus de molécules produites naturellement par les bactéries que l’on trouve dans les sols. Dès cet été, pour faire avancer la recherche, des scientifiques français nous appellent à prélever de nombreux échantillons de terre dans la France entière et à les leur envoyer.
De plus en plus de maladies causées par des bactéries ou des virus deviennent résistantes à nos médicaments actuels, ce qui constitue une menace grandissante pour la santé à l’échelle mondiale. Afin d’essayer d’identifier de nouvelles bactéries issues du sol ainsi que les molécules intéressantes qu’elles produisent, une unité de recherche de l’Inserm, à Paris, nous appelle à prendre nos bêches et nos binettes pour leur envoyer des échantillons de terre issus des quatre coins de l’Hexagone.
Une mission d’intérêt public pour participer à éviter une catastrophe sanitaire
Leur mission (et celle qu’ils nous confient) : trouver des médicaments efficaces contre ces maladies grâce aux bactéries qui vivent dans les sols de nos jardins, parcs, forêts et espaces naturels. En effet, c’est une information assez méconnue mais de nombreux antibiotiques (comme les tétracyclines) et certains médicaments anticancéreux et immunosuppresseurs sont issus de molécules produites par des bactéries provenant du sol. Les bactéries du sol « secrètent » d’autres bactéries pour se défendre les unes contre les autres et, une fois identifiées en laboratoire, ces dernières peuvent être utilisés chez l’homme pour lutter contre d’autres bactéries et virus.
Or, nombre des médicaments développés à partir de ces bactéries et que nous utilisons actuellement ont été découvertes durant les années 1940 à 1970 et les bactéries et virus actuels s’y sont habitués, ce qui annule ou diminue grandement leurs effets. C’est, par exemple ce que l’on appelle l’antibiorésistance. Un phénomène important à prendre en compte dès maintenant puisqu’il pourrait devenir, d’après l’Organisation Mondiale de la Santé, la première cause de mortalité dans le monde d'ici 2050, générant ainsi la "catastrophe sanitaire du siècle".
Ce domaine de recherche étant délaissé par l’industrie pharmaceutique depuis des décennies car peu lucratif, seule une infime portion de bactéries du sol ont été étudiées en laboratoire, ce qui laisse peu de chances de trouver de nouveaux médicaments. Vous pouvez donc vous rendre utile en prélevant vous-même un peu de terre près de chez vous ou durant vos vacances et en les envoyant à cette équipe de chercheurs français qui s’est donné pour mission de prendre sérieusement le problème à bras le corps.
Des échantillons de terre à envoyer simplement par la poste
Il vous suffit de récolter au sol de la terre de votre jardin ou d’un endroit public et libre d’accès de votre quartier, uniquement en France métropolitaine et en Corse, précise l’équipe*. N’hésitez pas à être créatifs en allant prélever des échantillons dans des sols marins, en haut d’une montagne, d’un volcan, ou dans une grotte… Tout en restant prudent évidemment. Veillez simplement à éviter les zones à proximité d’élevages, d’un cimetière, les zones interdites d’accès ainsi que les zones industrielles ou militaires.
Comment procéder ?
À l’aide d’une binette, d’un plantoir, ou tout simplement d’un couteau ou d’une cuillère, creusez le sol aussi profondément que possible (5 à 15 centimètres suffisent), puis prélevez l’équivalent d’une cuillère à café de terre pour la glisser dans un petit sachet hermétiquement fermé préalablement annoté avec vos initiales au marqueur indélébile (par exemple, si vous vous appelez Jean Dupond : JD-1).
Relevez les coordonnées GPS précises du lieu de prélèvement* puis enregistrez ensuite les données sur votre smarthpone en suivant les instructions indiquées sur le site Science-a-la-pelle.fr, puis envoyez l’échantillon à l’équipe de chercheurs par la poste.
Analyser l’ADN des bactéries pour trouver la « recette » de futurs antibiotiques
Une fois réceptionnés, vos échantillons seront scrutés en laboratoire où leur ADN sera analysé pour tenter de trouver des « recettes » biochimiques qui permettraient ensuite de produire des molécules utiles pour notre santé. L’objectif est donc, d’ici la fin de l’été, de constituer une grande collection de souches bactériennes des sols de France. Pour l’heure, 398 échantillons ont été prélevés, et l’équipe met à jour la carte des lieux où des prélèvements ont été effectués sur le site Internet.
Plus les bactéries sont diverses, plus les chances sont grandes d'y trouver des molécules intéressantes. L’équipe disposant de votre adresse électronique, elle vous tiendra informé des résultats issus de vos échantillons. Alors, qui sait, de futurs médicaments dorment peut-être aujourd’hui dans la terre de votre jardin ou de votre commune ?
Pour aller plus loin :
Le site du projet où tout est expliqué en détail : https://www.science-a-la-pelle.fr/
L’adresse électronique pour les contacter si vous avez d'autres questions : sciencealapelle@gmail.com
* Comme l'explique Vincent Libis, initiateur du projet, cette opération est proposée uniquement en France métropolitaine car les chercheurs se doivent de respecter le protocole de Nagoya, dont la France est signataire et qui assure le partage juste et équitable des avantages découlant de l'utilisation des plantes médicinales mais aussi de toute ressource génétique. Ce protocole sert à éviter que les pays utilisent les ressources génétiques locales de leur voisins sans leur consentement. C'est notamment pour se conformer à ce protocole que les coordonnées GPS des échantillons sont demandées aux citoyens et que l'équipe de recherche se limite, dans un premier temps, à la France métropolitaine et la Corse (les DOM-TOM sont donc exclus de la récolte pour l'instant).