Manger selon ses gènes
Nous héritons de nos parents bien plus que des traits physiques : notre ADN contient également des prédispositions à certaines maladies. Le sachant, on peut faire évoluer notre alimentation pour se libérer de cet héritage. En particulier pour les problèmes de cholestérol, d'obésité et de diabète.
Certaines personnes, malgré une alimentation saine et équilibrée, peinent à gérer leur poids ou leur taux de cholestérol, tandis que d’autres semblent manger ce qu’elles veulent sans en ressentir de conséquences. « L’ingestion d’une tablette de chocolat n’aura pas le même effet pour tout le monde ; certains le toléreront très bien, tandis que d’autres auront des réactions variées », commente Marimiina Quenor Pykälistö, nutritionniste spécialisée en nutrigénomique. Cette différence de réponse s’explique par notre patrimoine génétique, qui influence notamment notre sensibilité à certaines maladies. Toutefois, l’alimentation peut compenser, voire modifier l’expression de nos gènes. En d’autres termes, la nourriture n’est pas seulement une source d’énergie, « elle parle à nos gènes », précise la spécialiste.
Lors de la transmission des gènes d’une génération à l’autre, ces derniers peuvent être altérés et entraîner soit des maladies héréditaires, soit des prédispositions génétiques. Les maladies héréditaires résultent généralement de mutations majeures dans un gène. Si l’on se représente un gène comme une chaîne de « perles », une mutation équivaut à la présence de perles défectueuses ou manquantes, rendant l’enzyme produite par le gène soit complètement inactive, soit imprévisible.
La nutrigénomique, peu connue en France
En France, la nutrigénomique peine à se développer. Bien qu’une dizaine de médecins fonctionnels l’utilisent, ainsi que certains naturopathes et nutritionnistes, le pays accuse un retard de cinq à dix ans par rapport aux pays anglo-saxons. Ce retard s’explique en partie par une réglementation stricte qui interdit les tests génétiques. Pour information, les tarifs d’un test génétique salivaire varient de 320 € pour un test de base (57 polymorphismes) à 1 000 € pour des tests plus complets. Une consultation en nutrigénomique ou en médecine fonctionnelle coûte en moyenne 80 €.
Comprendre l’hérédité
Les prédispositions génétiques, elles, relèvent de variations plus subtiles d’un gène, appelées polymorphismes. « Il y en a des dizaines de milliards chez l’homme », précise Marimiina Quenor Pykälistö. C’est comme si une seule « perle » de la chaîne génétique était légèrement modifiée, ce qui n’altère pas complètement son fonctionnement, mais en réduit l’efficacité. Ces altérations mineures peuvent ne jamais...
évoluer vers une maladie. Elles ne la provoquent pas directement, mais peuvent rendre une personne plus susceptible de la développer. C’est le cas par exemple de l’obésité, du diabète ou de l’hypercholestérolémie. Ces maladies se manifestent souvent à l’âge adulte, vers 30 ans ou plus tard, car avant, l’organisme est capable de compenser ces petites variations génétiques pour maintenir l’homéostasie dans le corps.
Comme le souligne notre experte, « les gènes sont responsables des maladies à hauteur de 5 à 30 % ». C’est notre mode de vie et notre alimentation qui définissent à quel point ces derniers peuvent devenir problématiques.
Après la digestion et l’absorption de certains aliments, des molécules libérées pénètrent dans les cellules et interagissent avec nos gènes. Ces molécules agissent comme des « interrupteurs », capables d’activer ou de désactiver des gènes spécifiques, influençant ainsi la production de protéines et d’enzymes. L’exemple le plus étudié de cette modulation est le sulforaphane, un composé présent dans les légumes crucifères comme le brocoli. Ce composé joue un rôle important comme facteur de transcription, une protéine qui régule le processus par lequel un gène est « lu » pour produire une protéine spécifique. Le sulforaphane active ainsi les gènes responsables de la capacité antioxydante de l’organisme et stimule les voies métaboliques de la phase 2 de la détoxification, un processus clé dans la gestion des réactions biochimiques et la neutralisation des toxines accumulées. En parallèle, le sulforaphane inhibe l’expression des gènes liés aux réactions inflammatoires et module l’activité des enzymes cytochromes P450, souvent trop actives en raison de certaines prédispositions génétiques. « Le sulforaphane régule plusieurs gènes simultanément », note Marimiina Quenor Pykälistö. D’autres aliments, comme le curcuma et le gingembre, possèdent des propriétés similaires de modulation génétique.
L’importance de tels aliments devient évidente dans des contextes d’obésité, de diabète et d’hypercholestérolémie, affections étroitement liées à l’inflammation et au stress oxydatif. Ces maladies sont également influencées par un troisième facteur clé : la flexibilité métabolique, c’est-à-dire la capacité des mitochondries à utiliser différentes sources d’énergie, telles que les glucides, acides gras ou corps cétoniques. Deux nutriments sont particulièrement bénéfiques à cet égard : le magnésium et les protéines. Ces derniers modulent plusieurs gènes liés au métabolisme énergétique et favorisent la sensation de satiété. Une fois digérées, les protéines fournissent aussi des acides aminés, nécessaires à la production d’enzymes – les produits de l’expression des gènes – et contribuent à la phase 2 de la détoxification.
Moduler ses gènes avec…
- Les brocolis contiennent du sulforaphane, une molécule qui active les gènes responsables de la capacité antioxydante du corps et inhibe ceux liés à l’inflammation.
- Les œufs (riches en bétaïne) et les betteraves (riches en choline) sont des donneurs de méthyle, nécessaires à la méthylation des gènes, un processus qui permet d’activer ou de réprimer certains gènes en fonction des besoins du corps.
- Les légumes verts (riches en vitamines B9, B6, B12, zinc et magnésium) agissent comme des cofacteurs nécessaires aux enzymes qui régulent la méthylation des gènes.
Contrer les prédispositions
En plus de moduler l’expression de nos gènes, certains aliments influencent la méthylation, chef d’orchestre de la régulation de l’expression génétique. Celle-ci consiste à ajouter des groupes méthyle à l’ADN, ce qui peut activer ou réprimer certains gènes en fonction des besoins de l’organisme. Un équilibre dans ce processus est essentiel : une méthylation trop élevée ou trop faible peut perturber le fonctionnement des gènes, augmentant le risque de maladies chroniques. Les légumes vert foncé participent à la régulation de la méthylation en apportant des nutriments spécifiques tels que vitamines B, zinc et bétaïne. De même, les œufs, riches donneurs de méthyle, et les betteraves, qui favorisent la production de choline (autre élément important pour la méthylation), doivent être intégrés dans notre alimentation pour soutenir ce processus. En prenant en compte ces éléments, la nutritionniste a constaté un retour à la normale du taux de cholestérol de certains de ses patients…
Des effets concrets sur l’hypercholestérolémie
La nutritionniste Marimiina Quenor Pykälistö constate que l’on peut « renverser la maladie » en suivant des conseils nutritionnels personnalisés.
« Les symptômes et les marqueurs biologiques de Marc, 52 ans indiquaient clairement une hypercholestérolémie héréditaire. Mon accompagnement a consisté à lui conseiller d’ajouter plus de fibres à ses repas, en intégrant légumes, légumineuses, oléagineux et graines. Je lui ai aussi recommandé d’éviter les plats industriels, la charcuterie et les pâtisseries. Pour les glucides rapides, je lui ai expliqué de toujours les consommer avec un repas, pas tard le soir. Enfin, je lui ai suggéré de limiter les céréales, en préférant les complètes… à consommer en fin de repas. Ces recommandations, adaptées à son profil, ont permis à Marc d’améliorer son taux de cholestérol et de retrouver un meilleur équilibre. »