Éveiller l'odorat dès le plus jeune âge
L'association Nez en herbe œuvre à l'éveil olfactif dès le plus jeune âge. Au moyen d'ateliers animés dans des crèches, écoles primaires et collèges, les plus jeunes éduquent leur nez en respirant des fragrances d'huiles essentielles. L'objectif ? Solliciter leur sens de l'odorat de façon précoce pour favoriser un bon développement cognitif, enrichir leur culture olfactive et valoriser le goût et la sensation de plaisir.
Apporter plus de sens aux programmes éducatifs, tel est le credo de l’association Nez en herbe depuis 2017. Aujourd’hui présidée par Roland Salesse, ancien directeur du laboratoire de Neurobiologie de l’olfaction à l’Inra, l’association vise à promouvoir l’éveil de l’odorat dès la crèche et l’école maternelle. « Cela faisait longtemps que j’avais cette idée en tête. Notre nez est en friche, il n’est pas éduqué comme les autres sens, or il a un rôle important à jouer dans l’apprentissage et le plaisir », explique le chercheur.
Saviez-vous en effet que lorsque nous nous concentrons sur une odeur pour la deviner, nous musclons notre attention et notre mémoire ? Qu’avoir un bon sens de l’odorat permet d’identifier et d’apprécier les aliments que nous mangeons ? Par ailleurs, « prendre le temps de sentir et de déguster ce que l’on mange prépare l’organisme à la digestion. Et au passage, on se fait plaisir avec les odeurs », renchérit le chercheur.
Les pouvoirs du nez
Alors, pour que les petits prennent au plus tôt conscience des pouvoirs de leur nez, des animateurs de l’association programment des interventions olfactives sur demande auprès d’une dizaine de crèches, écoles et collèges en France. L’une d’entre eux, Félicie Codron, parfumeuse et olfactothérapeute, anime des ateliers en Gironde (33) auprès d’élèves du CE1 à la troisième. Parmi ses outils olfactifs, la jeune femme utilise notamment des huiles essentielles d’orange, de poivre de Madagascar, de néroli, de lavande, de cumin, de laurier ou encore de bergamote. Après les avoir diluées dans une huile végétale de coco désodorisée, elle y plonge des touches à sentir qu’elle distribue aux enfants afin qu’ils devinent les odeurs. Place alors aux ressentis ! « On voit d’abord des expressions faciales, puis ils ont tout de suite envie...
d’échanger sur leurs perceptions, même s’ils sont souvent démunis quand il s’agit de décrire l’odeur, à part dire j’aime bien ou je n’aime pas ». L’animatrice les aiguille. Est ce frais ? Chaud ? Est-ce que ça se mange ? Est-ce une odeur de jardin ? Est-ce fruité ou fleuri ? Salé ? Marin ?… « Je fais appel à leur nerf trijumeau, situé dans le cerveau, qui va détecter le côté glacial d’une menthe, l’aspect piquant d’un poivre ou la note épicée du gingembre. Ils devinent plutôt bien les odeurs mais certaines, très simples, ne sont parfois pas identifiées alors qu’ils l’ont sur le bout de la langue », remarque Félicie Codron.
Certaines fragrances sont préférées. « Les plus gourmandes, comme celles de bergamote ou de néroli, poursuit l’animatrice. D’autres font froncer les sourcils : « les plus puissantes, telles que le thym ! » Un enrichissement de la culture olfactive qui attise le plaisir, la curiosité, tout en développant aussi le côté fin gourmet. « Découvrir tôt la cardamome, le cumin ou la cannelle ouvre au fait de tester des saveurs en cuisine, de ne pas manger toujours la même chose. Cela permet d’aller au-delà des frites et potentiellement de limiter la malbouffe ».
L’odeur se transforme en souvenir
Mais ce qu’il y a de magique, raconte l’animatrice, c’est qu’une fois l’odeur reconnue, celle-ci est automatiquement enregistrée dans le cerveau. « Il y a un avant et un après. La mémoire olfactive se met en marche et plus jamais ils ne se tromperont sur l’odeur, celle-ci s’est transformée en souvenir », constate-t-elle.
Du côté des crèches, les animateurs utilisent des boules à thé contenant un ingrédient, qu’ils font sentir aux bébés dès l’âge de trois mois. « La première fois, ils se la mettent dans l’œil mais dès le second atelier, ils savent qu’il faut se la mettre sous le nez, ils ont découvert qu’ils pouvaient sentir », explique Roland Salesse. Dans les maternelles, les ateliers peuvent se dérouler sous forme de loto des odeurs, en associant ces dernières à des images ou à des aliments. « On s’aperçoit que les enfants n’ont pas les mêmes préférences que nous ! Car les odeurs qu’on aime ou pas se stabilisent vers l’âge de 5 ans. Avant cela, ils sont très ouverts aux expériences et peuvent apprécier une odeur de poisson plus que celle du chocolat », remarque Roland Salesse.
Reste à entretenir cette mémoire olfactive. « On fait en sorte que les maîtresses perpétuent les ateliers, mais ce n’est pas souvent le cas (rires). Le temps est compté, et ce n’est pas au programme ! », regrette le chercheur. Gageons néanmoins que ces expériences fleurissent petit à petit dans de nombreux établissements et qu’elles puissent intégrer, un jour, les programmes scolaires.
Des odeurs doudou
Félicie Codron, parfumeuse et olfactothérapeute, prépare actuellement un atelier d’olfactothérapie personnalisé pour les enfants ayant des troubles « dys » et autistiques au sein d’une école spécialisée en Gironde. L’objectif est de proposer à l’enfant de choisir son « odeur doudou » pour l’accompagner dans certaines situations stressantes ou désagréables. L’enfant choisit parmi une sélection d’huiles essentielles qui répondent à sa problématique, et ces dernières sont ensuite mélangées et déposées sur une mousse dans une petite boîte à sentir. À l’enfant ayant peu confiance en lui, elle propose souvent une odeur dominante de lavande qui favorise la paix intérieure. S’il a du mal à se concentrer, elle mise sur un mélange à base de basilic exotique, de cyprès toujours vert et d’eucalyptus mentholé. Si l’enfant a du mal à communiquer, elle privilégie l’essence d’orange douce, tandis que pour l’aider à s’apaiser le soir au moment de s’endormir, elle opte pour le néroli, relaxant du système nerveux.
Un jeu des senteurs
Félicie Codron a développé le jeu Kisenkoi afin d’éduquer l’odorat à l’aide de pastilles et de cartes indices présentant 20 odeurs de la vie de tous les jours à deviner. Ce jeu a été adopté entre autres par l’association Haut les cœurs, spécialisée dans les soins pédiatriques, et par l’unité de cardiologie du CHU de Bordeaux et de l’hôpital Haut-Lévêque à Pessac. Kisenkoi.com
Association Nez en herbe : Nez-en-herbe.org