L'inquisition des temps modernes
La prunelle noire, Prunus spinosa, l'épine noire, l'arbre aux sorcières déploie ses redoutables épines enchevêtrées dans des haies qui abritent les oiseaux et découragent les intrus. Ses fruits violets et acides, qui ne parviennent à maturité qu'après les premières gelées d'automne, donnent au terme d'une longue macération dans l'alcool, une liqueur qui délie les langues.
Sombre pendant de la blanche églantine, la prunelle noire traîne sa réputation de sorcellerie jusque dans ses applications cliniques, en particulier en homéopathie. Migraines effroyables, coliques, douleurs urinaires… les pathologies qu'elle soigne sont associées à des symptômes dignes de séances de torture médiévale : douleurs d'arrachement, d'enfoncement de pieux, de brûlures, de dislocation.
On imagine qu'un tel traitement devait, lui aussi, délier les langues ! Cependant les symptômes mentaux mentionnent plutôt une parole confisquée, une soliloquie, quand ce n'est pas la voix qui s'évanouit, ainsi que les pensées.
Les aveux obtenus sous la torture n'étaient-ils pas une parole confisquée aussi ? Une parole pervertie à l'extrême ? Le contraire de l'échange et de la communication si chers à notre époque moderne ? Nous considérons avec horreur et un léger sentiment de supériorité ces méthodes d'un autre temps qui permettaient à la pensée dominante de se protéger, d'éliminer toute pensée dissidente. Ces pratiques moyenâgeuses, nous sont pourtant parfois rapportées de nos jours par les rescapés de régimes totalitaires, ou par les témoignages indignés des défenseurs des droits de l'homme.
Dans nos démocraties éclairées et adultes, les techniques utilisées pour faire taire les voix dissidentes sont plus insidieuses, plus présentables, mais il faut bien avouer qu'elles n'ont pas disparu complètement. Que faut-il penser des arguments relatifs à la protection de la santé des populations qui sont utilisés pour discréditer les pensées alternatives ? On fait taire très efficacement les tenants de paradigmes trop différents, trop novateurs en les taxant de dangers pour le public, de fausses sciences. Ou en les désignant à la vindicte comme des charlatans ou des escrocs cherchant à tirer profit du désarroi des plus faibles. Ce sont tous ces mots, et bien d'autres aussi méprisants, que l'on inflige aux homéopathes pour justifier l'inquisition de la pensée dont ils sont victimes.
Leurs propos sont écartés des médias grand public sauf quand ils sont rapportés, déformés ou tronqués. Comme des sorcières des temps modernes, les plus tolérants les relèguent dans des positions subalternes, les autres souhaitent publiquement leur éradication. Il ne leur reste que le soutien de leurs patients, non dupes et soignés efficacement, pour se défendre, et quelques organes de presse qui leur ouvrent encore leurs colonnes.
La violence est-elle plus douce d'être moins visible et plus insidieuse ? Ne sommes-nous pas piégés dans les épines de la pensée unique, empêchés d'explorer les pistes alternatives qui nous sortiraient de l'impasse sanitaire et écologique dans laquelle nous nous précipitons ? Faudra-t-il attendre que les premières gelées de notre automne environnemental nous aient apporté la maturité nécessaire pour que les fruits de cette connaissance soient cueillis ? En espérant qu'il ne sera pas trop tard.