Réautorisation des néonicotinoïdes : à quand le changement ?
De gros tas de racines vaguement rondes qui s’entassent au bord de routes boueuses… La récolte des betteraves sucrières a commencé. Sauf que cette année, les rendements sont en baisse. Les betteraves sont atteintes par la jaunisse transmise par des pucerons, qui ont proliféré à la suite d’un hiver doux. Mais les producteurs pointent aussi l’interdiction en septembre 2018 des néonicotinoïdes, « la seule réponse disponible à court terme contre le puceron vert ». Cet argument a été entendu par le gouvernement : il a lancé une procédure accélérée début septembre – en même temps qu’était annoncé un plan de relance « inédit » visant à « basculer vers une économie plus verte » – pour demander la réautorisation temporaire de ces insecticides.
Ainsi, en ce début octobre, l’Assemblée nationale va examiner le projet de loi permettant la réintroduction pour trois ans de semences de betteraves enrobées avec des néonicotinoïdes. Si ces derniers ont été interdits, c’est parce que leurs effets néfastes sur les insectes pollinisateurs, dont les abeilles, ont été prouvés. De plus, ils affectent fortement les insectes qui vivent dans le sol et le bonifient, à l’instar des vers de terre. Enfin, ils sont toxiques pour la santé humaine, en ayant des effets neurologiques et sur le système endocrinien. Pourtant, le danger sanitaire nous dit-on – décidément ce mot est partout – provient du virus de la jaunisse qui touche la betterave.
On peut toutefois sérieusement douter que la remise dans le circuit des néonicotinoïdes puisse résoudre les problèmes que rencontre la filière sucrière. En effet, avec la suppression, en octobre 2017, des quotas sucriers et du prix minimal garanti de la betterave, le jeu économique a changé. Désormais, c’est la valse des marchés mondiaux qui prime. Pas très bien préparés, ou peut-être trop portés par l’optimisme de pouvoir augmenter les quantités, les producteurs et les raffineurs français sont aujourd’hui à la peine dans un contexte global de surproduction. Car, comme le rappelle l’économiste Quentin Mathieu, le cours du sucre s’inscrit à la baisse depuis 2011.
La réintroduction de ces pesticides met aussi mal à l’aise. Elle vise en effet une marchandise, le sucre qui, du fait d’une consommation excessive, est à l’origine de graves problèmes de santé. En témoigne le nombre de diabétiques en augmentation constante dans le monde. Certes, une partie de la production de betteraves sert à fabriquer de l’éthanol… Mais là aussi, il ne s’agit pas d’imaginer que tous les automobilistes vont rouler avec ce biocarburant.
En fait, cette crise montre notre propension à adopter les mêmes solutions que par le passé. Le problème de la betterave pourrait nous servir au contraire de cas d’école, nous donner l’occasion de tester d’autres schémas d’action, d’envisager de nouveaux raisonnements, de changer enfin notre logiciel formaté au « toujours plus ». Et définir ainsi une approche globale, faisant intervenir aussi bien des préoccupations de santé, que celles liées à l’activité économique et à l’environnement… Espérons que le débat, qui n’est pas fini, permette de poser ces questions de fond.