Les non-dits de Berberis
© Shevaga L
L'épine-vinette, Berberis vulgaris, est un arbuste qui fut largement utilisé dans des haies défensives à cause de ses épines dissuasives et enchevêtrées. Mais il a été accusé de faciliter la propagation de la rouille noire, un champignon s'attaquant aux céréales qui causa de terribles dégâts en Europe à la fin du XIXe siècle. En juillet 1912, un arrêté en ordonna l'arrachage, ce qui explique la disparition de cette plante dans plusieurs régions françaises. On a découvert beaucoup plus tard que le champignon avait en fait été transporté par les jarres contenant le blé, mais l'accusation erronée n'est pas encore totalement lavée.
Pourtant cette plante, très appréciée des abeilles, possède des baies acidulées avec lesquelles on fait une boisson rafraîchissante, une écorce dont la teinture a des propriétés toniques et fébrifuges (elles chassent la fièvre), et sa jolie fleur jaune a la particularité de refermer ses étamines si on les pique légèrement à la base. Ce mouvement de repli résume les particularités et les indications du médicament homéopathique Berberis.
Remède des infections urinaires et calculs rénaux ou vésiculaires, quand les douleurs irradiantes sont aggravées au moindre mouvement, c'est aussi un remède au vaginisme (une contraction incontrôlable du vagin qui entrave des rapports sexuels harmonieux). Et là, on touche au noyau de la souffrance, quand l'intrusion douloureuse cause un repli défensif. Le patient Berberis, touché dans son intimité, va se retourner contre lui-même, et se blesser là où on l'a blessé. Les homéopathes reconnaissent ces patients taiseux, introvertis, exprimant par leurs regards et leurs silences une douleur qui craint les mots. Si le regard de l'autre exprime la compréhension, l'acceptation, alors ils se détendent, se sentent reconnus et peuvent s'épanouir. Mais si un discours péremptoire les interrompt, ils se replient sur eux-mêmes et ferment l'accès à leur jardin secret.
Le temps, la douceur, l'écoute sont des thérapeutes, des soins que les protocoles informatisés ignorent, ils ne satisfont pas aux impératifs de la rentabilité ni aux critères exigeants du « double aveugle » et des statistiques. Ce sont des marqueurs d'humanité, des besoins fondamentaux qui surpassent les qualités de l'intelligence artificielle. Notre médecine se grandirait de leur rendre la place qui leur revient, de s'affranchir des impératifs financiers et des critères glaciaux qui se parent d'un sérieux scientifique pompeux.
En laissant la place au doute, à la confiance, à l'attention et au respect, on rend à la faiblesse blessée sa grandeur et sa force, on tend la main vers un autre soi-même qui ne demande qu'à s'exprimer et à apporter sa richesse à l'égrégore. Plutôt que d'exclure, d'arracher, de défendre, choisissons de prêter une oreille bienveillante et humble aux écorchés de la vie, qui seront peut-être nos guérisseurs de demain.