Billet d'humeur
La nutriécologie : intégrer l'écologie à la nutrition
"En un demi-siècle, la société s'est laissée enfermer dans un système alimentaire qui ne lui procure ni bonne santé, ni une offre alimentaire de qualité, qui a vidé les campagnes de ses paysans, qui est responsable d'un effondrement de la biodiversité et du quart des émissions de gaz à effet de serre et nous resterions passifs, résignés, emportés par une chaîne alimentaire incontrôlée ? Pourquoi ce manque de vigilance, de réactions, alors que nous pourrions garder la maîtrise de ce que nous mangeons. […]
Votre serviteur, fort de ses origines paysannes, fort d'une vie de recherche scientifique consacrée à l'alimentation humaine, a pensé qu'il fallait concevoir un nouveau logiciel de compréhension concernant notre nutrition. La qualité d'un aliment est à l'évidence façonnée par son environnement écologique et il existe en quelque sorte une chaîne de transmission de la santé des produits végétaux à l'homme, qui passe parfois aussi par l'intermédiaire animal. En fait, il est à la fois possible de bien se nourrir, de prendre soin de la planète et de bien la cultiver, de développer un cercle vertueux de bienfaits réciproques. J'ai donc proposé de qualifier cette approche par un néologisme, la nutriécologie.
Cette dernière signifie donc qu'une bonne nutrition s'élabore à partir d'aliments naturels, produits dans les meilleures conditions écologiques possibles. Un large public connaît l'agroécologie, un terme qui désigne des systèmes d'agriculture résilients et durables, qui préservent les ressources naturelles, mais cette agroécologie ne nous dit rien sur la nature des aliments que nous devons consommer pour bien nous porter. Il est évident que ces deux disciplines sont entièrement complémentaires et qu'il faudrait harmoniser l'approche de l'agroécologie par celle de la nutriécologie. Ce ne sont pas que des mots, la manière dont une plante est cultivée, dont un animal est élevé influence leur valeur nutritionnelle. Si en plus, on additionne les effets néfastes d'une production intensive aux impacts délétères de certaines transformations alimentaires, il est compréhensible qu'au final, le mangeur humain y perde sa santé à long terme. À l'inverse, un cercle vertueux de santé écologique, de préservation de la complexité des aliments favorise assez naturellement le maintien en bonne santé du mangeur humain.
La nutriécologie permet enfin de donner une bonne assise à l'alimentation humaine. Elle intègre l'écologie à la nutrition pour définir les systèmes alimentaires adaptés à la vie de l'homme et de la planète. Elle vise donc à satisfaire les besoins nutritionnels humains en préservant les ressources écologiques de la planète et ce faisant, on peut même en espérer une amélioration de son potentiel nutritionnel. Elle responsabilise les citoyens sur l'importance de leurs choix alimentaires, pour leur propre santé mais aussi pour la préservation de l'environnement. Elle indique au secteur agricole ce qu'il doit produire pour exercer pleinement sa vocation nourricière et écologique. Elle encourage le secteur agroalimentaire à préserver la naturalité des aliments. […] Ce logiciel est maintenant disponible, les générations futures devront s'en emparer. »
Texte extrait de Sauvons notre alimentation À table, citoyens !
par Christian Rémésy, éd. Thierry Souccar.