Dossier
Maladies auto-immunes, mieux les dompter (4/4)
La polyarthrite rhumatoïde, la sclérose en plaques, la maladie de Crohn ont la même origine : un dysfonctionnement du système immunitaire qui signe leur appartenance à la catégorie des maladies auto-immunes. Des maladies difficiles pour lesquelles la phytothérapie et la nutrition peuvent contribuer à stabiliser l’évolution. Pour vous en convaincre, trois médecins vous donnent leurs conseils.
Lutter contre la maladie de Crohn
La maladie de Crohn fait partie des maladies inflammatoires chroniques de l’intestin dites MICI. Elles touchent environ 200 000 personnes en France. En constante augmentation dans le monde occidental, la maladie de Crohn est en relation avec l’alimentation moderne et sans doute d’autres facteurs (polluants divers). Elle se manifeste chez le sujet jeune par des poussées qui peuvent être espacées ou rapprochées, bénignes (diarrhées, douleurs modérées) ou plus graves (émission de sang dans les selles, abcès, fistules, douleurs chroniques, dénutrition). À la longue, les lésions inflammatoires, qui peuvent être localisées de la bouche à l’anus, avec une prédilection pour la fin de l’intestin grêle, le côlon et le rectum, peuvent aussi se fibroser, se sténoser (entraînant alors une occlusion), se perforer et se cancériser. Parfois la maladie s’associe à des manifestations extra-digestives, au niveau de la peau (psoriasis), de l’œil (uvéites), du foie et des articulations (rhumatismes inflammatoires).
Thérapies psychocorporelles
Le nerf vague en action
Ce nerf, dit aussi pneumogastrique, équipe tout le tube digestif dans la composante parasympathique du système nerveux végétatif. Il informe en permanence le cerveau de toute la vie de l’intestin et s’avère être un trésor de possibilités thérapeutiques. En effet sa stimulation diminue l’inflammation de la paroi digestive. Si l’équipe du Pr Bonnaz au CHU de Grenoble teste les effets d’un stimulateur implantable, il existe des moyens simples de le stimuler ou de le réguler : relaxation, hypnose (testée avec succès par la même équipe), respirations profondes du yoga, mouvements d’extension et du tronc (ce que proposent nombre de thérapies psychocorporelles).
Certaines formes bénignes, a fortiori prises en charge de façon précoce, peuvent être équilibrées par des approches complémentaires douces. Des patients arrivent ainsi à prévenir ou éviter les poussées en contrôlant leur alimentation, en gérant le stress et en utilisant certains extraits de plantes. Le but est d’éviter, autant que possible, de basculer dans des formes graves qui font recourir, au mieux à des anti-inflammatoires dits 5-aminosalicylés (5-ASA) mais au-delà, aux corticoïdes, avec les complications que provoque leur usage chronique ou répété. Sans parler des immunosuppresseurs lourds et des anticorps monoclonaux.
En s’appuyant sur des approches complémentaires, on va tout d’abord s’employer à lutter contre la dysbiose qui est omniprésente, en s’appliquant à juguler le développement de la flore pathogène à l’aide d’une nutrition pré et probiotique, de plantes antiseptiques intestinales (en particulier certains aromates) et de la gestion du stress et du sommeil, autres facteurs de dysbiose. On vise également la modulation de l’inflammation par des plantes immunomodulatrices. On y combine des plantes hémostatiques en vue de diminuer la fréquence et l’intensité des saignements. Les plantes antispasmodiques et...
astringentes peuvent contribuer à juguler les spasmes et les diarrhées. On utilise toutes les plantes qui favorisent la cicatrisation et aident à lutter contre la fibrose. Enfin il est toujours capital d’équilibrer le système nerveux végétatif et l’émotionnel, facteurs de décompensation et d’aggravation bien connus des patients. Ces approches permettent d’optimiser ou d’alléger les traitements conventionnels et parfois de s’en passer dans les formes légères à modérées.
Soulager avec des antispasmodiques
Pour les formes légères de la maladie de Crohn, les plantes antispasmodiques font souvent merveille, d’autant qu’elles touchent également la composante émotionnelle. On proposera la passiflore, la mélisse, le gaillet jaune.
À faire : Mélanger à parts égales la passiflore, la mélisse et le gaillet jaune. Mettre 1 c. à s. du mélange dans 1 demi-litre d’eau.
Et aussi : L’huile essentielle de basilic tropical est souvent proposée, mais ne doit être utilisée qu’en cure courte du fait de la toxicité de l’estragole qu’elle contient (cette toxicité est encore débattue par les experts). On peut l’associer en cas de spasme aigu à l’huile essentielle de lavande officinale et à celle de petit grain aux vertus apaisantes, le tout dilué dans une huile végétale pour des massages abdominaux.
De façon pratique, on préconisera donc l’absinthe, l’achillée millefeuille (cicatrisante et hémostatique), la matricaire (dite aussi camomille allemande, connue pour ses vertus anti-inflammatoires, antispasmodiques et cicatrisantes), et le curcuma (anti-inflammatoire) pour lequel on pourra opter pour un extrait titré en curcuminoïdes ou la simple poudre du rhizome. Certains mélanges ayurvédiques et l’encens (sous la forme d’extrait sec titré en acide boswellique à 400 mg, trois fois par jour et non d’huile essentielle) sont aussi recommandés. L’échinacée semble aussi moduler l’inflammation dans les maladies sensibles aux corticoïdes.
Les aromates (cannelle, girofle, thym, origan, muscade) ont un rôle régulateur sur le microbiote. On les utilisera dans l’alimentation, en tisane ou décoction. L’usage des huiles essentielles – certaines sont caustiques – reste plus délicat. L’huile essentielle de basilic tropical, par exemple, est souvent proposée, mais il ne faut l’utiliser qu’en cure courte. On propose aussi le recours aux macérats glycérinés de bourgeon de figuier et d’airelle (Vaccinium vitis-idaea), mais les effets de ceux-ci n’ont pas été évalués.
Zoom sur la dysbiose
Des probiotiques aux effets variables
La dysbiose est constante dans la maladie de Crohn en lien avec les troubles de l’immunité. Elle se caractérise par une carence en Faecalibacterium prausnitzii, un excès d’Escherichia coli entéro-invasif, une diminution de firmicutes et de bacteroides et la présence fréquente de Candida albicans. De nombreuses souches de probiotiques ont été proposées pour rééquilibrer ce microbiote perturbé. Ainsi Escherichia Coli souche Nissle 1917 produit une substance protectrice, la colibactine qui soulage certains patients. L’Inra a même breveté un fromage probiotique qui aurait des vertus protectrices. Mais les effets des probiotiques restent hétérogènes et demandent à être encore étudiés. Et si l’ultra levure est clairement intéressante, la levure de bière semble, par contre, avoir des effets délétères.
Enfin, on ne peut envisager de traiter la maladie de Crohn sans soigner son alimentation. Bon nombre de patients essaient le régime Seignalet (sans gluten ni maïs, sans produits laitiers, sans sucres ni aliments transformés, privilégiant les aliments crus ou les cuissons douces) avec des effets variables. Il semble que les céréales et en particulier le blé soit souvent mal toléré, du fait du gluten ou des FODMAPs (des sucres complexes tendant à fermenter) qu’il contient. De manière générale un régime pauvre en complexes protéiques, difficiles à digérer pour une muqueuse intestinale perturbée, est mieux toléré dans les phases inflammatoires. Selon les patients, l’éviction de la caséine et du gluten ne sera pas nécessairement totale ni permanente. Au final, une alimentation hypotoxique, riche en micronutriments, en antioxydants, en oméga-3 et en probiotiques naturels, est indiquée. L’ortie et la spiruline sont également d’utiles compléments alimentaires chez des personnes parfois dénutries ou carencées du fait de la malabsorption. La première a en plus le mérite d’être hémostatique et peut être ajoutée à l’alimentation en poudre, ou fraîche. Autant de possibilités que chaque malade apprendra à doser, devenant ainsi le meilleur expert de sa maladie et de ce qui déclenche des poussées ou les entretient.
L’absinthe cicatrise
Discréditée par l’interdiction de la liqueur d’absinthe, dont on a reconnu depuis qu’elle était basée sur des arguments erronés, l’absinthe a été injustement remisée aux oubliettes de la phytothérapie. Et pourtant cette tonique riche en lactones amères, en flavonoïdes et en acides phénols est remarquablement anti-inflammatoire et antiseptique (en particulier sur E. Coli entéro-invasif).
À faire : Prendre par cures, sous forme de poudre en gélule entre 1 et 4 grammes par jour. L’efficacité de cette galénique a fait l’objet d’une étude clinique.
Et aussi : Le mastic de Chios est prometteur. Cette résine de pistachier lentisque a confirmé dans une petite étude clinique ses effets anti-inflammatoires et cicatrisants notamment pour les personnes atteintes de façon modérée par la maladie de Crohn.
Un lavement pour les cas graves
Dans les formes terminales rectales, il est possible de proposer des lavements doux composés d'une base d'achillée (extrait hydrique) mélangés à des huiles essentielles cicatrisantes très diluées comme le ciste ladanifère ou la matricaire que l'on peut rendre soluble dans l'extrait d'achillée à l'aide d'un peu de solubol. Ce sont toutefois des huiles couteuses. L'huile de nigelle (Nigella sativa), à la fois antiseptique, antitumorale et anti inflammatoire peut être tout simplement avalée à raison de 2,5 à 5g par jour ou ajoutée à des lavements rectaux. Certains abcès anaux ou certaines fissures anales chroniques peuvent bénéficier d'irrigation par des mélanges d'HE antiseptiques et cicatrisantes diluées dans une base d'huile végétale de millepertuis dans l'attente de leur règlement chirurgical.