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La grande modernité des médecines traditionnelles (2/4)

L'aspiration à une prise en charge personnalisée et holistique engendre en France un retour en grâce des médecines traditionnelles. Venues de Chine, d'Inde ou d'Europe, elles sont aussi plébiscitées par la science, en quête de nouvelles solutions thérapeutiques. Voyons avec nos experts en quoi ces savoirs ancestraux offrent une approche pertinente de nos problématiques de santé.

La médecine traditionnelle européenne  réinvente ses fondamentaux

La médecine traditionnelle européenne réinvente ses fondamentaux

Parler de médecine traditionnelle européenne pourrait sembler anachronique, tant nous avons perdu de vue ce pan de notre histoire pourtant séculaire. « Les connaissances scientifiques ont provoqué une rupture en discréditant ce savoir ancestral », pose Jean-Michel Morel, médecin généraliste expert en phytoaromathérapie. Une histoire qui remonte à l’Antiquité avec les préceptes du médecin grec Hippocrate, qui pensait que la santé du corps et de l’âme reposait sur l’équilibre des humeurs du corps. Puis, à partir du VIIIe siècle, notre médecine savante s’est enrichie des textes arabo-persans qui ont forgé un art de soigner en vigueur au Moyen Âge, transmis par les monastères et grandes écoles de médecine de l’époque, dont celle de Salerne. Une vision balayée par l’avènement de la chimie et de la science. Certes, il n’est guère possible de soigner comme au temps d’Hippocrate ou d’Hildegarde de Bingen, mais « certaines notions de ces savoirs du passé qui ont fondé notre médecine traditionnelle en Europe sont très intéressantes à retrouver aujourd’hui », plaide Jean-Michel Morel. Il constate notamment la demande croissante de la société pour une personnalisation du soin, l’adaptation des traitements « en prenant en compte la globalité de l’individu malade et pas seulement les symptômes aigus de sa maladie ». C’est là que l’héritage des savoirs traditionnels, notamment les connaissances considérables autour des plantes médicinales, s’avère très pertinent car, argue-t-il, « elles permettent d’apporter des réponses fines en fonction du terrain de la personne ». Et pour appréhender ce terrain, Jean-Michel Morel dispose non seulement du diagnostic classique en allopathie mais aussi d’une pratique éprouvée de la pharmacopée lui permettant d’investiguer au-delà des symptômes apparents. « On peut aller en profondeur et rechercher d’éventuels déséquilibres au niveau des systèmes ­neurovégétatif, hormonal, immunitaire et étudier comment la maladie s’installe chez ce patient. » C’est en recensant les différents troubles associés qu’il peut identifier les causes et élaborer une stratégie thérapeutique en préconisant une alimentation adaptée – notre première médecine selon Hippocrate ! – pour, par exemple, réensemencer un microbiote déséquilibré ou réduire un état inflammatoire. Et définir quelles plantes recommander en vertu de leurs propriétés pharmacologiques, mais aussi de leur « analogie avec le terrain du patient ».

Pour illustrer cette notion d’analogie, issue des médecines savantes grecque et arabo-­persane, le Dr Morel prend l’exemple de l’arthrose, une pathologie chronique difficile à traiter en médecine conventionnelle : « Si la douleur s’accentue par temps humide (rhumatisme barométrique), je conseillerai une plante anti-inflammatoire comme la reine-des-prés, dont les effets sont dus à des dérivés salicylés montrant une affinité avec l’élément aqueux, tandis que l’harpagophytum (si possible cultivé de manière équitable, car en danger d’extinction) sera plus pertinent pour une arthrose avec chaleur et gonflement. » Et ces usages traditionnels intéressent de plus en plus les chercheurs, qui identifient les principes actifs à l’œuvre dans ces plantes et mettent en place des études cliniques. Ainsi, le CHU de Nice a expérimenté un protocole de phytoaromathérapie contre des cystites récidivantes. Et si ces remèdes traditionnels sont aujourd’hui validés par la science, c’est aussi grâce à la création, voici soixante ans, d’une pharmacopée européenne basée à la fois sur des savoirs traditionnels et des données scientifiques : « Les pays européens se mettent d’accord régulièrement sur les monographies de plantes médicinales et les réactualisent pour normaliser leur usage thérapeutique et non toxique », explique Jacques Fleurentin, président de la Société française d’ethnopharmacologie. Une organisation qui ­participe aussi grandement à la transmission des ­médecines traditionnelles.

La pharmacopée traditionnelle à l’épreuve d’une étude clinique sur les cystites

Venir à bout des cystites récidivantes sans antibiotiques, grâce à la phytoaromathérapie… C’est l’étude clinique qui a été menée au CHU de Nice dans le cadre de l’Observatoire des médecines non conventionnelles. « L’idée a été de s’appuyer sur ce pilier fondamental qu’est la pharmacopée traditionnelle pour soigner des femmes très handicapées par ces infections urinaires à répétition », explique la pharmacienne Pascale Gélis-Imbert qui a élaboré le protocole. Celui-ci mise notamment sur la prise d’une dose importante de tisane (1 litre par jour). Cette galénique, que beaucoup considèrent comme dépassée, s’est révélée tout à fait efficace. « Les plantes présentent l’intérêt d’agir sur le terrain global du patient. Elles nous obligent à considérer celui-ci dans son entièreté, en prenant en compte ses différents systèmes », poursuit la pharmacienne. D’où la présence de mélisse qui calme le système nerveux, fortement sollicité par l’anxiété que génère la crainte d’une nouvelle infection urinaire. D’où aussi l’ajout d’échinacée, qui soutient le système immunitaire. « Pour que la tisane soit efficace, il fallait commencer par réaliser une décoction avec l’échinacée pour ensuite faire une infusion avec les autres plantes (ortie, mélisse, orthosiphon, busserole) et prendre le breuvage 15 jours tous les deux mois, sur un an ». Le suivi de ce traitement à l’ancienne a permis d’enrayer les récidives (quasiment plus de cystite après 18 mois) et d’arrêter la prise d’antibiotiques.

La mélisse, une plante majeure depuis toujours !

Parmi les plantes phares de notre pharmacopée traditionnelle, la mélisse tient une place de choix. Son nom vient du latin et du grec melissophulon (« feuille de miel »), car son parfum doux et citronné attire les abeilles. Le médecin persan Avicenne s’en servait déjà au XIe siècle pour fortifier le cœur et combattre la mélancolie, tandis qu’elle devenait l’une des simples incontournables des monastères en raison de ses vertus digestives. Considérée comme une panacée au Moyen Âge, elle était censée pouvoir guérir nombre de maladies telles que l’épilepsie, l’apoplexie, les troubles menstruels, les rhumatismes… On sait aujourd’hui, grâce à l’étude de ses principes actifs, que sa réputation n’était pas usurpée. La mélisse démontre en effet de solides propriétés anxiolytiques, antidépressives, antalgiques, cholérétiques, antivirales. Ee est même capable de réduire la toxicité des chimiothérapies. Une médicinale pertinente aussi pour le stress chronique ou le syndrome de l’intestin irritable, des maux bien actuels !

En France, on constate une appétence indéniable pour cette autre manière de soigner, portée par une société en demande de soins plus naturels et désireuse de renouer avec des savoirs ancestraux. Mais cette approche non conventionnelle ne bénéficie pas d’une vraie reconnaissance du monde médical, sauf si elle est pratiquée par des médecins… A contrario, la Suisse a créé en 2015 un diplôme officiel de naturopathe en médecine naturelle traditionnelle européenne (MTE) : « Les médecins suisses voulaient utiliser nos méthodes de naturopathie et de phytoaromathérapie, mais il était inéquitable qu’ils y recourent sans que nous ayons nous-mêmes un statut légal », retrace Fabrice Leu, l’un des premiers naturopathes à obtenir ce diplôme fédéral. La MTE assume dans ses statuts son héritage de la médecine hippocratique, où « l’être humain est considéré comme un ensemble et traité comme tel dans une unité du corps, du mental et de l’esprit ». L’objectif affiché est de renforcer les capacités d’autorégulation et de guérison du corps, en préventif comme en curatif. Tout en mêlant tradition et modernité : « J’ai le droit de faire des diagnostics et de demander des examens médicaux, qui me sont utiles pour confirmer mon interrogatoire du patient pratiqué de manière holistique », précise Fabrice Leu. L’enjeu est de « garder les valeurs du passé en les remettant au goût du jour » afin de répondre aux enjeux actuels de santé.

L’approche se veut pragmatique et multiple dans les techniques d’intervention afin de s’adapter aux besoins du patient. Ainsi, pour traiter un stress chronique, Fabrice Leu peut aussi bien conseiller des « antidépresseurs naturels » tels que la valériane, le coquelicot et le houblon, que des séances d’auriculothérapie, une technique d’acupression développée dans les années 1950 par le médecin français Paul Nogier. De même, pour soigner la nécrose du pied d’un diabétique, une pathologie résistante aux traitements conventionnels, il recourt à la méthode ancienne des sangsues « qui libèrent des principes actifs tels que l’hirudine, capables de fluidifier et décoaguler le sang ». Et il préconise un traitement de fond plus large pour ces patients avec la méthode Wim Hof par le froid, qui « a démontré scientifiquement qu’elle stimule la réponse anti-inflammatoire ».

Ce naturopathe en est convaincu, la médecine traditionnelle européenne est une voie d’avenir si « elle s’adapte et modernise des pratiques naturelles ». Et de plaider par exemple pour un recours plus large à l’ozonothérapie, découverte à la fin du XIXe siècle. Cette technique non conventionnelle vise à insuffler dans l’organisme un mélange d’ozone et d’oxygène, par autotransfusion, par voie rectale ou intracutanée. Des études récentes suggèrent un bénéfice thérapeutique sur le Covid 19, sur la réduction des inflammations et des douleurs. Autorisé en Suisse, ce procédé est classé en France comme pratique sectaire.

La cure de printemps

Nos aïeux avaient l’habitude de faire une cure de printemps pour « décrasser un peu le système » après la nourriture plus lourde et le manque d’activité en hiver, explique l’expert en herboristerie Christophe Bernard. On utilisait alors des plantes traditionnellement connues pour leur action drainante sur le foie et les reins. Une habitude qui, selon lui, « s’est perdue entre les années 1960 et 2000 ». Aujourd’hui, cette pratique est de nouveau très en vogue sous le terme de « détox », avec moult recettes de tisanes ad hoc. Voici celle de notre spécialiste en phytothérapie Christine Cieur, extraite de son ouvrage Au comptoir de l’herboriste.

Ingrédients : • Bardane (racine) 30 g • Pissenlit (racine) 25 g • Chiendent (rhizome) 25 g • Ortie piquante (feuille) 10 g • Citronnelle (herbe) 10 g, pour donner du goût.

À faire : Réaliser une décoction en mettant 2 c. à soupe du mélange dans 750 cl d’eau froide et faire bouillir 10 minutes à couvert. À boire dans la journée, en cure de 3 semaines.

Transmettre et légitimer les savoirs traditionnels

Depuis 1986, la Société française d’ethnopharmacologie (SFE) réalise un travail colossal de recherche sur les usages des plantes en médecine populaire et traditionnelle à travers le monde. À sa tête, l’ethnopharmacologue et pharmacien Jacques Fleurentin, qui a co-créé cette instance avec un groupe d’enseignants-chercheurs : « Nous travaillons avec des ONG sur des synthèses pédagogiques sur les plantes médicinales avec leurs balances bénéfices/risques, afin de diffuser ces connaissances auprès des professionnels de santé comme du grand public. » Les remèdes ancestraux sont évalués au niveau toxicologique et chimique pour légitimer leur valeur thérapeutique. Ainsi, la SFE a œuvré en 2013 avec des tisaniers d’outre-mer pour intégrer dans la pharmacopée française 46 plantes ultramarines utilisées en médecine populaire. C’est le cas de l’ambaville réunionnaise, donnée contre les ulcères, ou le bois d’Inde antillais, qui soulage les courbatures. Au fil de ses colloques et formations, cette société savante enseigne à des pharmaciens, chercheurs et cadres de santé de tous les continents comment recenser les savoirs de leurs territoires et les utiliser localement.

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Plantes & Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé.
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