Dossier
Un nouveau regard sur les invasives (5/7)
Elles viennent d'ailleurs et dérangent notre conception de la biodiversité. Les plantes dites invasives prospèrent là où elles ne sont pas invitées et sont rebelles aux tentatives d'éradication. Une vitalité que l'on accuse de nuire aux plantes autochtones, à l'agriculture et même à la santé pour certaines. Et si, au lieu de les traiter en ennemies, on écoutait ce qu'elles ont à nous dire sur notre monde ?
La jussie, la résistante des marais
La jussie (Ludwigia grandiflora et Ludwigia peploides), plante amphibie de la famille des Onagracées, nous vient d’Amérique du Sud. Elle a été introduite en France, sans doute accidentellement, voici plus d’un siècle. Elle commence à faire parler d’elle au début des années 1990 : « Le marais d’Orx, dans les Landes, avait été drainé par les cultivateurs industriels pour en faire des champs de maïs. Puis ils ont arrêté et le marais s’est alors retrouvé fortement eutrophisé (dégradation des écosystèmes aquatiques, ndlr) à cause des pesticides. La seule plante à avoir pu vivre dans cette eau pourrie est la jussie », raconte Gilles Clément, jardinier-écrivain.
Un complément alimentaire animal
En région Centre-Val de Loire, la jussie est l’une des plantes étudiées par le projet Locaflore, qui regroupe des universités, des associations et des industriels. Objectif : valoriser la flore locale, notamment la biomasse de cette plante aquatique envahissante. Des chercheurs de l’Inrae ont, eux, testé les propriétés antioxydantes d’extraits de jussie. Ceux-ci ont été administrés en complément alimentaire à une vingtaine de jeunes poulets fermiers. Constat : moins de stress, et un engraissement mieux régulé.
De fait, les jussies sont bio-indicatrices de pollution, mais pour le moment, elles sont surtout montrées du doigt car elles gênent la circulation fluviale et les pêcheurs. Malgré différents plans de lutte depuis trente ans, il s’avère très difficile de les endiguer car elles se reproduisent à grande vitesse, surtout lorsqu’on les coupe ! L’écologue Jacques Tassin souligne la capacité de la jussie à « fixer les phosphates », elle peut donc contribuer à dépolluer les eaux. Pour Gilles Clément, si on veut limiter leur présence et retrouver une biodiversité dans les marais, « il faut surtout changer le mode de production agricole et arrêter les polluants ». Quant au potentiel thérapeutique des jussies de nos contrées, il a été très peu étudié. Des chercheurs de l’Institut méditerranéen de biodiversité et d’écologie marine leur attribuent toutefois des vertus antibactériennes sur des staphylocoques.
Le robinier, un « bon migrant »
Originaire de la chaîne des Appalaches, aux états-Unis, le robinier faux acacia (Robinia pseudoacacia) est répandu dans l’Est américain. Si on le connaît ici sous ce nom, c’est grâce à Jean Robin, l’arboriste du roi, qui planta le premier spécimen en France en 1601, toujours en vie au square Viviani dans le centre de Paris ! Le robinier est très opportuniste, il se reproduit facilement grâce à ses nombreux drageons, surtout si on le coupe. Mais s’il a tout pour être considéré comme un invasif, on le voit plutôt comme un « bon migrant », selon l’expression de Thierry Thévenin. Car l’industrie forestière plébiscite son bois très dur et quasi imputrescible exploité depuis quinze ans tant pour fabriquer des tuteurs de vigne que pour la construction navale ou les menuiseries extérieures. Un arbre également vu comme « rentable », car il pousse vite : il arrive à maturité de coupe en vingt à quarante ans. Ses fleurs d’acacia, bien connues des gourmands, sont délicieuses en beignets ! Quant à ses usages médicinaux, ils sont méconnus en France mais très exploités notamment en Roumanie, où les tisanes de ses fleurs sont un remède contre la toux, l’état grippal, les céphalées et autres maux.