Dossier
Un nouveau regard sur les invasives (7/7)
Elles viennent d'ailleurs et dérangent notre conception de la biodiversité. Les plantes dites invasives prospèrent là où elles ne sont pas invitées et sont rebelles aux tentatives d'éradication. Une vitalité que l'on accuse de nuire aux plantes autochtones, à l'agriculture et même à la santé pour certaines. Et si, au lieu de les traiter en ennemies, on écoutait ce qu'elles ont à nous dire sur notre monde ?
Le raisin d'Amérique, un remède des Amérindiens
C’est au détour des chemins forestiers, dans les clairières et aux abords des vignes que vous avez le plus de chances de rencontrer le raisin d’Amérique (Phytolacca americana), appelé aussi phytolaque en phytothérapie. Vous reconnaîtrez facilement cette plante vivace, qui peut atteindre 3 mètres de hauteur, par ses tiges rougissantes et ses fleurs roses ou blanches aux reflets verts, de juillet à septembre. Celles-ci vont se transformer en grappes de fruits noirs et ridés qui pendent à maturité.
Arrivé en 1650 en Europe, le raisin d’Amérique est d’abord cultivé pour la beauté de ses fleurs. Mais, très vite, on identifie ses propriétés tinctoriales et on récolte ses fruits pour colorer les vins pâles et de piètre qualité. Cette pratique est aujourd’hui considérée comme frauduleuse et toxique. En effet, de par la toxicité de ses baies, feuilles et tiges pour l’homme et le bétail, on déconseille sa consommation, l’ingestion d’une quantité importante pouvant même être fatale.
Les oiseaux, eux, apprécient ses graines. Une trentaine d’espèces en sont ainsi friandes et participent activement à sa dissémination en les transportant jusqu’à leur nid. Ce qui explique que cette plante soit présente un peu partout sur le territoire français, à l’exception de la Normandie, de la Somme et de quelques terroirs bretons, du Grand Est et de la Bourgogne. Comme elle affectionne les sols acides et sableux, les Landes, où elle profite des déboisements massifs pour s’implanter, constituent pour elle une zone de prédilection.
De puissants antioxydants
Créer une filière locale de valorisation de la renouée du Japon, de l’ambroisie et des solidages, c’est le projet sur lequel travaille Vanille Quinty depuis 2019 au sein du laboratoire Edytem, en Savoie. La doctorante explore les propriétés biochimiques de molécules comme le resvératrol et ses dérivés issus de la renouée du Japon. Ses propriétés antioxydantes pourraient être utiles pour des actions anti-âge ou pour éclaircir la peau. Une activité antioxydante a également été repérée dans les acides phénoliques de l’ambroisie et des solidages, permettant d’envisager une action sur le vieillissement, la cicatrisation, l’élasticité cutanée… Reste à les tester sur des cellules ou sur la peau. Plusieurs marques de cosmétique, intéressées par ce potentiel, ont d’ores et déjà approché le laboratoire.
Certaines populations humaines en ont aussi fait de nombreux usages. Le raisin d’Amérique aurait ainsi fait partie de la pharmacopée des Amérindiens, et notamment des tribus cherokees. Avertis de sa toxicité, ces Indiens d’Amérique n’en consommaient d’ailleurs que les jeunes pousses, après avoir pris soin de les faire bouillir dans plusieurs bains. Ces populations lui réservaient aussi un usage externe : il était posé en cataplasme pour désengorger le gonflement des articulations. Aujourd’hui, du fait de sa toxicité, et malgré une bibliographie de ses usages médicinaux intéressante, son usage s’est perdu. On pourra cependant y avoir recours en dilution homéopathique pour améliorer les maux de gorge, les infections des voies respiratoires et certaines arthrites.
Selon le chercheur Yann Dumas de l’Inrae, une autre de ses capacités devrait retenir notre attention : la dépollution des sols, le raisin d’Amérique pouvant capter facilement des métaux lourds comme le cadmium, le mercure et le chrome. Des chercheurs ont émis l’idée qu’il pourrait donc dépolluer les friches industrielles.
À lire
- Les Plantes du chaos, par Thierry Thévenin, éd. Lucien Souny.
- Éloge des vagabondes, par Gilles Clément, Nil éditions.
- L’Encyclopédie des plantes bio-indicatrices alimentaires et médicinales, par Gérard Ducerf, éd. Promonature.
- Aimez vos plantes invasives, mangez-les ! par François Couplan, éd. Quae.