Cultiver un rapport sensible au végétal (1/15)

Notre société moderne n’entretient plus de liens profonds et désintéressés avec la nature. Nous sommes même dans une « crise de sensibilité », déplore le philosophe Baptiste Morizot qui constate que nous avons perdu de vue les « altérités vivantes » qui la composent. Au lieu de réduire cette nature à un rôle de décor, de production de ressources ou de « support de projection émotionnel ou symbolique », pourquoi ne pas réinventer notre relation avec le monde vivant pluriel (végétaux, animaux, micro-organismes…), reconstituer « des chemins de sensibilité » comme il le propose dans son essai, Manières d’être vivant. En effet, depuis la révolution des Lumières, c’est la science qui régit notre rapport au vivant. Elle impose une vision rationnelle, dogmatique, basée sur des critères objectifs. On a poussé très loin par exemple la recherche en biologie ou en pharmacologie, jusqu’à ne voir dans le végétal qu’une succession de molécules.

Or, l’idée d’une interaction sensible avec la nature a préoccupé de nombreux penseurs. Au XVIIe siècle, Spinoza est convaincu de la nécessité d’une « science intuitive » nous permettant de trouver un accord profond avec la nature, indissociable du cosmos. Dans ce sillon, Goethe ira plus loin. Dans son Essai sur la métamorphose des plantes, il élabore la théorie « d’empirisme délicat » – Anschauung en allemand – où un état contemplatif vis-à-vis des plantes crée un espace d’interaction et d’intuition avec elles. Partant du principe que « l’homme lui-même est l’instrument scientifique le plus exact qui soit », il invite à s’appuyer sur cette subjectivité comme chemin vers la connaissance.

Aujourd’hui, dans notre monde occidental, des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour appeler à une vraie relation avec notre environnement, animal ou végétal. Des écologues, des paysans, des herboristes, des thérapeutes… développent et expérimentent un lien plus subtil leur permettant d’accéder à une dimension intime des plantes. Pour y parvenir, certains s’inspirent des pouvoirs des chamanes, ces experts de l’invisible, ou s’initient à des traditions celtiques ou alchimiques. D’autres, après avoir multiplié les observations souvent basées sur une approche sensorielle, envisagent le végétal dans sa dimension d’être vivant à part entière. Dans cette interaction se créent de nouveaux espaces qui rendent possible une forme d’empathie, de coévolution et même de symbiose. Cette dimension nouvelle est aussi parfois source d’inspirations thérapeutiques.

Changement de paradigme ? En tout cas, toutes les personnes que vous pourrez découvrir dans les pages suivantes ont choisi de développer, chacune à sa manière, une approche sensible du végétal. Ils partagent avec nous leurs parcours, leurs expériences et ce qui les motive profondément à aller toujours plus loin dans cette relation de vivant à vivant. Des regards pluriels pour donner à réfléchir et s’inspirer.