Dossier
Cultiver un rapport sensible au végétal (8/15)
Communication, plaisir et même attachement… De plus en plus de personnes envisagent de se rapprocher des plantes, des arbres en impliquant leur sensibilité, leur affect, leurs émotions. Rencontre avec ces paysans, herboristes, écologues, thérapeutes… qui, tout en développant une alliance profonde avec le vivant, ouvrent de nouvelles voies de connaissance.
Christian Escriva : " L'approche sensorielle est un mode de compréhension des plantes "
Devenu producteur et transformateur de plantes médicinales après des études de physique théorique, mathématiques et chimie, Christian Escriva poursuit depuis 1984 un chemin singulier pour se rapprocher du végétal. Zoom sur ce qu’il nomme son " approche sensorielle ".
" Mon premier contact avec la botanique classificatoire fut une catastrophe ! Une plante ne peut se réduire à ce qu’en dit la botanique, me suis-je dit. Regardons par exemple une plante à fleurs, sans nous préoccuper des informations que nous avons lues dans les livres (sur son chimisme par exemple, ou ses usages). Voyons plutôt comment cet être s’exprime par des formes visibles, de la graine qui germe à la plantule qui se développe et se déploie, fleurit puis fructifie. Bien sûr, la plante est soumise aux lois de la chimie, élabore des composants, variables selon le stade de croissance, la partie de la plante… Mais nous pressentons que quelque chose nous échappe et qu’il y a, non visible à nos yeux, non appréhendable par nos appareillages d’analyse, une...
unité, un être – un archétype. Cette organisation inaccessible à nos points de vue habituels, académiques, correspond à ce que j’appelle le " génie d’une espèce végétale ".
Entrevoir ce " génie " est l’objet de l’approche sensorielle. L’intention est d’appréhender une plante en tant qu’être vivant, non limité aux descriptions que nous trouvons dans les ouvrages de botanique ou de phytochimie, etc. Ces points de vue me paraissent en effet réducteurs. L’approche sensorielle se présente comme un chemin, une porte vers un autre mode de compréhension de la plante : nous tentons d’appréhender son être. Pour cela, j’utilise la méthode que j’ai nommée " olfaction longue " et que je développe depuis le début des années 1990. Elle procède de l’observation attentive d’un extrait de plante (huile essentielle, teinture-mère et ses dilutions homéopathiques, extrait de gemmothérapie, etc.). J’ai pris conscience de la richesse de ces extraits, de leur relation avec l’" être d’une plante " le jour où j’ai senti attentivement une huile essentielle de lavande officinale sauvage d’une qualité exceptionnelle. Ces recherches ne sont pas complètement nouvelles, elles rejoignent des conceptions qui ont existé à différentes époques : telle la méthode de Goethe (1749-1832), qui s’est vivement intéressé au végétal tout au long de sa vie. De telles investigations impliquent notre intuition, notre sensibilité, et suscitent bien sûr beaucoup de questions… "
La méthode d’olfaction longue
Pour Christian Escriva, il est possible, grâce à un apprentissage exigeant une grande attention, d’entrer en contact intime avec une odeur. En pratique, un extrait est déposé sur une touche et observé pendant une durée variable selon l’entraînement du sujet. Lors d’une telle expérience interactive, des informations parviennent à la conscience. Il est possible de lire les impacts physiques et psychiques du « génie de la plante ». Celui-ci peut être cerné et décrit par un vocabulaire spécifique. Ainsi, l’olfaction de l’hélichryse corse sauvage révèle certaines notes chaudes et jaunes, miellées, ainsi qu’un fond solide, presque minéral. Un observateur entraîné pourra percevoir des impacts psychiques, par exemple la remontée de traumatismes personnels, récents ou anciens…