Dossier
Cultiver un rapport sensible au végétal (6/15)
Communication, plaisir et même attachement… De plus en plus de personnes envisagent de se rapprocher des plantes, des arbres en impliquant leur sensibilité, leur affect, leurs émotions. Rencontre avec ces paysans, herboristes, écologues, thérapeutes… qui, tout en développant une alliance profonde avec le vivant, ouvrent de nouvelles voies de connaissance.
© INGRID BAILLEUL © Ingrid Bailleul
Laurent Tillon : " Pour qui sait l'écouter, Quercus est un intarissable bavard "
Voilà 30 ans que Laurent Tillon se rend auprès de Quercus… depuis qu’adolescent, il a trouvé du réconfort auprès de ce chêne de la forêt de Rambouillet. Une rencontre qui a orienté profondément sa vie.
Il lui rend visite, avec toujours le même rituel. Quand il entre dans le sanctuaire de son chêne (Quercus en latin), il va vers lui, le salue et pose sa main à un endroit de l’écorce. " Alors je sens que je suis légitime, que je ne suis plus un intrus, mais un vivant parmi les vivants… Une forme de connexion se met en place. ", témoigne Laurent Tillon.
La force de ces moments tient pour lui à l’apaisement, au ressourcement ressentis : " Près de Quercus, je suis totalement authentique, car aucun jugement de valeur n’est en jeu. Quel que soit l’état émotionnel dans lequel j’arrive, tristesse, joie, colère, j’ai toujours ressenti la sérénité me gagner progressivement. La relation avec Quercus est très stable ! " Pour autant, Laurent Tillon a très vite constaté aussi, et il continue de s’en émerveiller, toutes les...
surprises, les découvertes qui pouvaient se produire au cours de ces moments. La visite d’un chevreuil, la pluie sur les feuilles de son arbre… Rien n’est banal quand on est proche de Quercus. Car pour " qui sait l’écouter, il devient un bavard intarissable ". Le biologiste en a d’ailleurs fait un livre, dans lequel il se glisse sous l’écorce de son chêne et nous amène à comprendre son fonctionnement.
Tous ces événements alimentent l’imaginaire, estime Alain Tillon, mais aussi le lien avec " cet être-là, cet être aimé ". Au fil des ans, un tel contact " est devenu pour moi une vraie boussole ". D’abord dans son orientation professionnelle, quand au départ, plutôt égoïste il le reconnaît, il décide de devenir ingénieur forestier afin de pouvoir protéger son arbre ! Puis dans sa manière de vivre, son engagement : il cultive son potager, consomme peu en prêtant attention à l’empreinte carbone de ce qu’il achète, est bénévole pour le conservatoire d’espaces naturels du Centre-Val-de Loire. Une boussole, mais aussi une prise de conscience : " Toutes les observations et l’attention que j’ai consacrées aux moments passés dans ce sanctuaire, sur ce que je pouvais voir, comprendre a alimenté une réflexion globale sur la nécessité de poser un regard systémique sur les choses, et sur la nécessité de prendre soin du monde vivant qui est la clé face à toutes les grandes crises que nous vivons collectivement. Mon objectif au sein de l’ONF est passé de la volonté de protéger mon arbre à celle de mettre la biodiversité et le vivant au cœur de la gestion forestière. " Ainsi, le lien entretenu avec Quercus l’a changé… Aujourd’hui, il formule le vœu que chacun ait un arbre auprès duquel se ressourcer et ressourcer notre société…
La sensibilité au vivant, ça s’apprend !
Convaincu qu’il faut aujourd’hui réenclencher par toutes sortes de moyens le contact sensible avec le vivant, Laurent Tillon partage quelques idées pour trouver la bonne distance :
- Aller au contact, s’immerger le plus possible et pas seulement lire des livres ou regarder des documentaires.
- Aborder le vivant sans a priori, sans chercher à tout comprendre tout de suite, mais plutôt en se questionnant à partir de ce que l’on observe.
- Ne pas chercher à comparer les « comportements » d’un arbre, ou de tout être vivant avec ce que nous sommes, nous humains. S’approcher du vivant, c’est aussi accepter la profonde altérité des différentes espèces et même des individus au sein d’une même espèce.