Dossier
Force et symbolique des végétaux sacrés (4/8)
Symboles sur terre de dieux puissants et inaccessibles, investies de pouvoirs mystérieux, les plantes sont depuis la nuit des temps les messagères des humains vers le monde immatériel, et vice versa. De l'achillée bénie chez les Celtes aux tagètes vénérées au Mexique en passant par l'iboga, le bois sacré du Gabon, partons à la découverte de ces végétaux qui nous relient à l'invisible.
La cordyline, vénérée dans tout le Pacifique
De la Polynésie française à Hawaï, en passant par la Nouvelle-Calédonie et les îles Fidji, la cordyline est sacrée chez tous les peuples du Pacifique. À Hawaï, connue sous le nom de kī, cette plante est consacrée au dieu de la fertilité, Lono. Ses feuilles sont utilisées par les prêtres kahunas pour balayer les maléfices. « À Tahiti, les marae, les sanctuaires sacrés, sont entourés de cordyline, appelée aussi auti, car cette plante est considérée comme favorisant la chance et chassant les mauvais esprits », décrit François Chassagne, ethnopharmacologue, spécialiste des plantes du Pacifique à l’Institut de recherche pour le développement. Jadis, les tahu’a, prêtres polynésiens, mettaient au fond des pirogues plusieurs pieds d’auti lors des grandes expéditions afin de bénir le voyage, et les plantaient à l’arrivée dans une île nouvelle en l’honneur de Maui, le dieu des voyages. Lors des batailles, la cordyline ceignait les reins des orateurs de chaque clan pour inspirer leur verve contre l’adversaire et les rendre invulnérables. Un bouquet d’auti était brandi à la fin des combats en signe d’armistice.
Aujourd’hui encore, les peuples du Pacifique en cultivent autour de leurs maisons et portent souvent sur eux une feuille de cordyline porte-bonheur. Chaque année à Tahiti, l’auti est célébré durant la marche sur le feu, ou umu ti, par le grand prêtre Raymond Teriierooiterai Graffe. Il doit montrer qu’il a le mana (pouvoir surnaturel) en franchissant pieds nus des pierres brûlantes qu’il balaie avec des feuilles d’auti : « Je me retire dans la montagne pour cueillir les autis sacrés, méditer, jeûner, communier avec la nature et rendre hommage à mes ancêtres ». Des tubercules de cordyline sont ensuite cuits sur les pierres et conservés de longs mois, comme le faisaient les anciens afin d’éviter la disette durant la saison sèche.
Et aujourdhui...
Mystérieuse panacée
En enquêtant sur l’usage médicinal de la cordyline à Tahiti, l’ethnopharmacologue François Chassagne a constaté que la population y recourt quotidiennement pour toutes sortes de maladies. En décoction ou bain, elle est utilisée aussi bien dans les maladies infantiles, fièvres, otites, qu’en cas de douleurs au ventre ou aux dents. Des indications difficiles à expliquer selon cet expert : « Les analyses pharmacologiques ont révélé du sucre et des saponines dans la cordyline, mais pas de réel principe actif thérapeutique ». Et si les bienfaits de la plante provenaient finalement de la dimension sacrée que lui prêtent les Polynésiens ? s’interroge l’ethnopharmacologue.
Le millepertuis, lumineux et positif
Cette fleur dorée était autrefois surnommée « chasse-démon » par les Celtes. Perçue comme un moyen d’éloigner les énergies négatives, elle était cueillie au moment du solstice d’été car la plante, gorgée de soleil, était censée restituer de la lumière (et maintenir un beau teint) durant l’hiver. « On constate un lien entre la tradition et les études modernes qui pointent le rôle du millepertuis comme antidépresseur, notamment en hiver, lorsque la lumière baisse », remarque Florence Laporte. Une fois la fleur assemblée en bouquet, on la jetait au feu en nommant les maladies dont on voulait se débarrasser, ou la glissait sous l’oreiller pour éviter les cauchemars. La légende raconte même que si l’on marche accidentellement sur ce végétal le soir du solstice, on se retrouve au pays des fées !